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MÉMOIRES DE L'ACADÉMIE D'ARRAS
L'Académie laisse à chacun des auteurs des travaux insérés dans
les volumes de ses Mémoires, la responsabilité de ses opinions, tant
pour le fond que pour la forme.
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LECTURES FAITES DANS LES SÉANCES HEBDOMADAIRES
NOTICE NÉCROLOGIQUE
de
M. FRANGÇOIS-MAURICE COLIN
MEMBRE RÉSIDANT DE L’ACADÉMIE D’ARRAS
Par M. C. le GENTIL
Membre résidant
+
e Comme je me suis fait de l’accomplirksement du
» devoir une obligation de toute ma vie, je dois accepter
» les charges honorables qui me sont offertos, sane me
» laisser arrêter ni par les sacrifices, ni par les difi-
» cultés.» {1er août 1837).
» Je renouvelle devant vous l'engagement de con-
» sacrer tous mes sojus, toutes mes facultés, de me vouer
° tout entier à la prospérité de la Cité, au service de
» mes concitoyeus. » (7 décembre 1840).
(M. Coin.)
MESSIEURS,
Lorsque, frappé comme par une sorte de coup de
foudre, mourut presque subitement, dans la nuit du 28
au 29 décembre 1878, l'honorable Monsieur FRANÇoOISs-
Maurice COLIN, Officier de la Légion d'honneur,
ancien Maire de cette ville, ancien Chancelier de son
Académie, ancien Président du Tribunal de Commerce,
ancien Président des sections réunies de la Commission
du Musée, Président de la Chambre de Commerce, Censeur
de la succursale de la Banque de France, Membre de la
_
dominission départementale des Monuments Historiques du
Pas-de-Calais et de plusieurs Sociétés savantes, qui, à tous
«es litres et à bien d’autres, était si populaire et si aimé
parmi nous; ce fut à Arras un regret unanime. Chacun
Sefñlait, éh effet, qu’en lui était tombé, non-seulement
1e plus vrai type des enfants de notre vieil Arras, mais
encore, ainsi que, traduisant la pensée de tous, l’a fort
bien dit M. Paris, « le premier Bourgeois de la Cité. »
Oui, le premier Bourgeois de la Cité, qu’il chérissait
dans ses personnes autant que dans ses choses, et pour
Jaquelle il s'était, sans ménagement aucun, dépensé,
prodigué, depuis plus de quarante ans, avec un zèle,
une énergie et un désintéressement que rien n'avait pu
Affaiblir. |
L’émotion douloureuse ressentie à la mort de M. Colin
s’est particulièrement produite au sein de l'Académie,
où il siégeait depuis 1831. Vous avez en conséquence
désiré, Messieurs, qu'une Notice nécrologique perpé-
tuât dans vos Mémoires le souvenir de ce regrettable
Collègue, et vous avez daigné me charger de la rédiger.
Puissent les lignes qui vont suivre ne pas trop trahir
votre confiance, et rappeler suffisamment la mâle figure
de celui que vous ne voulez pas laisser tomber dans
l'oubli. | | |
Issu d’une ancienne famille bourgeoise de cette ville,
comme le prouvent les Registres aux Bourgeois, Monsieur
François-Adrien-Joseph Colin était un homme remar-
quable.
Né le 18 février 1747 dans la paroisse Saint-Géry (1),
pourvu d'un office de Procureur postulant près le
Conseil d'Artois, par Lettres-Patentes du 31 décembre
1775, enregistrées au quatrième Registre aux Provisions
de ce Conseil (2), admis à la prestation de serment le
10 janvier suivant, il exerça son ministère près celte
grande Compagnie Parlementaire jusqu’en septembre
1790, époque de sa suppression.
Ses sentiments bien connus le firent incarcérer
comme suspect, le 17 ventôse an II (7 mars 1794),
d’abord à l’Abbatiale, ensuite à l'Hôtel-Dieu, « que l’on
venait de transformer en prison pour les mâles. » (3) Ulté-
rieurement élargi le 3 fructidor suivant (20 août) (4), il
fonda une importante maison de commerce, rue du
Saumon, section B, n° 69, dans l’ancien hôtel de Gomme-
court, qu'il quitta pour aller habiter, rue Saint-Gérv, dite
alors de l'Egalité, section À, n° 280, l'hôtel de Grandval,
appartenant toujours à la famille.
Nommé Juge au Tribunal de Commerce le 15 thermi-
(1) Voir l'acte de baptème du 19 de ce mois, aux Registres de
Catholicité de lu paroisse Saint-Géry.
(2) 20 série, folio 219, verso, 11 février 1776.
(3) Arrété de Le Bon.
(4) Décret du 18 thermidor.
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… .
410 —
dor an VIII, il fut réinvesti dans ces fonctions les 15 ger-
minal an X, 15 floréal an XII, 15 avril 1806, et promu
à la Présidence le 15 avril 1810 (1).
Nommé également membre du Conseil Municipal vers
la fin de l’Empire, il devint Conseiller de Préfecture en
1815 et Académicien en 1817, lors de la reconstitution
de notre Société savante par le Préfet Malouet (2).
Le goût très-prononcé de M. Colin pour les livres, les
manuscrits, les médailles, les pierres gravées, les
tableaux, les antiquités et les curiosités locales lui avait
valu cette dernière distinction. |
De son mariage, contracté en septembre 1788, avec
Mademoiselle Marie-Josèphe Coulon, étaient, entre autres
enfants, nés: le 23 pluviôse an VII, Monsieur Jacques-Henri
Colin qui, successivement Avocat et Juge-suppléant près
le Tribunal Civil d'Arras, et notre Collègue à l’Académie
depuis 1840, est le savant numismate, l’ardent entomo-
logiste et l’infatigable botaniste dont l'autorité ne se
trouve contestée par aucun amateur; et le 7 germinal
an VIII (28 mars 1800) (3), M. Françors-Maunrice
COLIN, l’homme considérable que nous allons
étudier, et qui se recommanda, moins encore par les
talents, que par ce qui, rare de lous temps, disparaît de
plus en plus et menace de devenir introuvable : /e
caractère.
(1) Registre aux délibérations du Tribunal de Commerce.
(2) Arrêté du 7 mai.
(3) L'acte de naissance fut reçu par « Grimbert, administrateur
municipal, officier public élu pour constater les naissances. » Et la
déclaration faite par M. Thilloy et Mme Marie-Charlotte Quarré, veuve
de M. Louis de Hangest,
: — 11 —
Le caractère, c'est-à-dire la qualité virile entre toutes,
qui seule constilue l’'hommé fort et de bonne trempe ;
qui à elle seule le fait, en dépit des passions, des
Opinions et des partis, respecter par tous, en lui assurant,
quelque part qu'il se trouve, une situation nette, un
franc-parler, un front haut et un rôie prépondérant ;
résultat auquel n'a jamais atteint, et que ne donnera
jamais, le plus grand savoir-faire, doublé de la plus
merveilleuse habileté.
Après avoir ébauché à Paris, dans l’Institution Sa-
bouret, les cours qu'il suivit ensuite avec distinction
au Lycée Charlemagne, M. Maurice Colin, se sentant
une aptitude innée et une vocation particulière pour le
Commerce, vint se placer sous la direction de son pèére,
dont il reprit, en 1825 (1), la suite des affaires auxquelles
il imprima un nouvel essor: si bien qu'il s'était mis,
comme considération et importance, en tête des négo-
ciants d'Arras, lorsqu'en 1834, cent trois suffrages, sur
cent soixante-trois votes exprimés dans sa section,
l’appelèrent au Conseil Municipal où, sauf un intervalle
de peu d'années, il devait rester jusqu'en 1878.
Enumérer et apprécier ce qu'a fait dans ce Conseil
M. Colin, pendant cette longue période, exigerait un
travail de longue haleine, comportant plusieurs volumes
et constituant l'histoire municipale d'Arras ; il n’est pas
en effet une question de quelqu importance, qu'il n'ait
travaillée, discutée, élucidée, soit dans les séances du
Conseil, soit dans les nombreuses Commissions dont il
a fait partie et qui, fréquemment, le désignaient comme
(1) M. François-Adrien-Joseph Colin est décédé le 14 février 1825.
— 149 —
Rapporteur ; peu de difficultés dont il se soit désin-
téressé, pas de mesures sérieusement utiles dont il
n'ait pris l'initiative.
Cette tâche étant essentiellement incompatible avec
le cadre restreint d’une simple Notice, nous nous
bornerons à donner un aperçu de l'existence adminis-
trative de M. Colin.
La rectitude de ses idées, la sagacité de ses appré-
ciations, la solidité de ses discussions, toujours précises
ct sans phrases, ne tardèrent pas à frapper ses Collègues
qui, l'ayant entendu développer sa manière de voir,
notamment à propos de la Réouverture de la porte
St-Michel, du Tracé du chemin de fer de Paris à Lille en
passant par Arras, de la Révision du tarif de l'octroi, et
montrer la même compétence dans les différentes
matières par lui traitées, l’élurent, en séance du 29 mars
1837, membre des Commissions chargées de faire
ressortir lutilité de la direction par Arras du chemin de
fer précité; de s'occuper de l'examen du projet d’éclai-
rage de la ville par le gaz; et de l'examen du projet de
prolongement de la rue St-Nicaise.
Ce qu'avait constaté lé Conseil Municipal avait égale-
ment éveillé l'attention de l'Autorité supérieure.
Depuis que 1789 à ouvert pour la France l’ère révolu-
tionnaire dans laquelle nous nous agitons encore
aujourd'hui, la vérité de la maxime Rara concordia
fratrum, s'est accusée dans les assemblées délibérantes,
non-seulement politiques, mais encore administratives.
Du haut en bas de leur échelle, pour les grands centres
surtout, il y a scission cl mésintelligence. Ce qui se
produisait en une foule d’autres villes existait à Arras.
*
nn de
Le Conseil Municipal, à la tête duquel se trouvaient
comme Maire M. Dudouit, et comme Adjoints MM. de
Retz et Nepveu, hommes bien intentionnés mais faibles,
était profondément divisé.
Les élections de 1837 ayant été mauvaises pour
l'Administration, la Municipalité se retira; force fut
donc de trouver un nouveau Maire. Et, cherchant un
homme dans les rangs éclaircis des conservateurs, le
Gouvernement jeta les veux sur M. Colin (1) ; il avait
alors trente-sept ans.
Après s'être assuré du concours de M. Pillain et de
M. Wartelle de Retz, notre digne Collègue, qu'il désigna
comme Adjoints, M. Colin, sans se dissimuler les diffi-
cultés qu'il allait affronter, et sans sourciller devant elles,
prit résolüment en main les rênes de l'administration.
Le discours qu'il prononça au jour de son installation,
et dans lequel il donna le programme de sa conduite
future, indique que tout en offrant la paix, il s'attendait
à la lutte et s’y préparait.
« Messieurs, dit-il, nommé Membre du Conseil Muni-
cipal, j'ai cru qu'il était de mon devoir de consacrer mes
facultés à la défense des intérêts de cette Ville, et j'ai
accepté le mandat qui m'était confié.
» Aujourd’hui, le Roi me rend dépositaire de l’au-
torité administrative, il me confère des fonctions qui
dérivent de la confiance dont mes concitoyens m'ont
honoré. Comme je me suis fait de l’accomplissement du
devoir, une obligation de toute ma vie, je dois accepter
(1) Ordonnance du 22 juillet 1837.
[4
4
les charges honorables qui me sont offertes, sans me
laisser arrêter, ni par les sacrifices, ni par les difficultés.
» Ces difficultés sont tien grandes, maïs parfaitement
uni et unanime d'intention avec mes honorables amis,
Messieurs Pillain et Wartelle, nous pouvons espérer, avec
le concours de nos Collègues du Conseil Municipal, de
faire ce qui peut être utile aux habitants d'Arras, ce qui
peut être bien et beau pour cette Ville où nous sommes.
nés, où nous avons passé toute notre vie et qui est pour
nous une Cité de prédilection. Nous portons à la Ville
d'Arras, l'affection profonde que tout homme porte aux
lieux qui l’ont vu naître, et autant nous désirons une
plus grande somme d’honneur, de gloire, de bonheur
pour la France, quand nous la mettons en regard des
pays étrangers, autant nous désirons pour Arras une
plus grande part d'honneur, de gloire, de bonheur,
lorsque nous mettons notre Ville en comparaison avec les
autres villes de France.
» Ces sentiments, par cela même qu'ils sont naturels,
vous sont garants du zèle avec lequel nous nous occupe-
rons de toute la chose publique pour le bien et le repos
de la Cité.
» Nous veillerons à ce que l’ordre soit toujours main-
tenu, à ce qu'il y ait sureté, tranquillité et justice pour
tous.
» Dans l'exécution des mesures conservatrices de la
salubrité, nous nous éloignerons également d’une sévé-
rité trop inflexible et d'une indulgence trop dangereuse.
» L’Instruction, cette source du développement de
l'intelligence qui nous permet d'apprécier ce que nous
devons à Dieu en nous rendant palpables les vérités
et
consolantes de la religion, sera pour nous l’objet d’une
sollicitude d'autant plus grande que nos institutions, éma-
nant de la mémorable révolution de juillet, assurent au
mérite le rang qui lui appartient, et que la science
ouvre aujourd'hui la route la plus sûre pour arriver au
succés. |
» Le Commerce, qui change la position des hommes
et souvent le destin des Etats en transportant le sceptre
du pouvoir, là où il établit la puissance du Crédit ; le
Commerce auquel je dois personnellement des habitudes
de travail, d'ordre, d'économie, que je porterai dans
l'administration, trouvera en nous des défenseurs éner-
giques de tous ses intérêts.
» Les Beaux-Arts auront notre appui, nous appellerons
sur eux la protection du Roï qui, en calmant nos tem-
pêtes politiques, a su réunir dans un musée immense
tous les souvenirs des gloires françaises.
» Les charges qui pèsent sur les habitants seront par-
tagées avec une égalité parfaite; nous serions heureux de
trouver les moyens de les diminuer, mais nous craignons
de ne pouvoir les alléger autant que nous le voudrions,
car en jetant un coup-d'œil sur les besoins de notre
époque et sur les véritables intérêts de cette Ville, nous
jugeons l’avenir chargé de mettre à exécution les grands
travaux qui, à notre avis, devront bientôt se faire suc-
cessivement à Arras.
» Parmi ces travaux, nous remarquons en première
ligne la reconstruction immédiate de notre Beffroi,
l'érection d’une Eglise, la confection de bâtiments nou-
veaux destinés à un Abattoir, à une Jauge, à un Poids
public, la formation d’un Château d’eau pour une distri-
— 16 —
bution d'eau de fontaine dans toutela ville, l'établissement
d'un matériel destiné à un éclairage par le gaz, l’ouver-
ture d'une porte nouvelle actuellement utile, bientôt
indispensable par suite de da confection d’un chemin de
fer, chemin qui, nous devons l’espérer, passera entre la
Ville et le faubourg Saint-Sauveur. »
Cette lutte ne tarda pas à s'engager, car, à propos
d'un point insignifiant, une escarmouche entre l’opposi-
tion et le Maire eut lieu lors de la séance qui suivit celle
de l'installation, et à partir de cette ouverture d’hosti-
lités, M. Colin fut et resta bravement sur la brêche
jusqu'à la révolution de 1848.
Systématique et tracassière, ainsi que le démontrent
à la dernière évidence les Registres aux délibérations
du Conseil Municipal, la ligue formée contre M. Colin
pour le harceler sans relâche, soit par empêchements
au fond, soit par des chicanes de forme, en arriva à
une acrimonie et à une violence qui dépassèrent toutes
les bornes au cours de l’année 1840.
Outrée de rencontrer une direction là où elle n'avait
_ pour ainsi dire trouvé qu'obéissance, et de se voir en
face de l’un de ces hommes qui, pratiquant la devise :
« Fais ce que dois, advienne que pourra », se montrent
d'autant plus opiniâtres que leur droiturè permet: moins
de les entamer, elle voulut absolument lui arracher une
démission.
Mais, soutenu par son énergie personnelle, M. Colin,
qui, du reste, avait fait reculer ses adversaires en leur
proposant l'arbitrage non-accepté de l'Administration
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17 —
suspension et la place qu'il occupe peuvent servir à les
reconnaitre {. |
Après avoir reçu les premiers enseignements du chris-
tianisme sous Constantin le Grand et ses successeurs, la
Gaule-Belgique, souvent envahie et occupée par des
hordes barbares, était retombée dans les ténèbres de l'ido-
lâtrie. C'est seulement après la conversion de Clovis
qu'elle devint chrétienne. Dès lors, la croix figura sur ses
monnaies comme type du revers?. Il est permis de
supposer qu'une partie des triens mérovingiens percés
ou munis d’une bélière, ont été portés par les Francs
comme amulettes sacrés 5.
1. Les collections numismatiques renferment souvent de ces pièces ;
on en voit plusieurs dans les ouvrages suivants : F. de Saulcy, Essai de
classification des suites monétaires byzantines (pl. XV, no 9 et pl. XXI,
no 2). — Sabatier, Monnaies byzantines (pl xLIV, n° 43, pl. xLvu,
no À ct pl. L, no 6).
La coutume de porter au cou des monnaies byzantines comme amu-
lettes s'est continuée jusqu'à ce jour parmi quelques populations
chrétiennes de la Turquie.
2. Pendant près de douze siècles, la croix fut le type ordinaire du
revers des monnaies royales et baronales de toute la France.
3. C. A. Serrure, Observations archéologiques à propos de quel-
ques monnaies inèdiles de Saint-Omer, p. 6. — Cependant des ob-
jets semblables ont souvent orné des colliers, des bracelets et des
boucles d'oreilles Les amulettes des gentils n'étaient pas disparus
entièrement aux vi, vit et vie siècles. Le roi Childebert renouvela,
en 554%, les édits des empereurs romains contre le paganisme et ses
singulières pratiques. Dans une allocution que saint Eloi adressait aux
habitants de la Flandre, il s'élevait contre leur habitude de porter des
phylactères diaboliques. « Un chrétien, disait-il, ne suspend point
d’amulettes au cou de l’homine ou d’un animal quelconque, quand
2
— 18 —
Des pièces carlovingiennes ont reçu la même destina-
tion ; mais elles sont beaucoup plus rares. Existait-il des
médailles de dévotion sous la seconde race? On a bien
avancé que Charlemagne portait au cou une médaille de
la sainte Vierge, et que son fils, Louis le Débonnaire,
avait suivi son exemple, mais nous ne trouvons pas
la preuve de cette assertion.
Un chroniqueur du commencement du xrrr° siècle,
Robert, abbé du Mont-Saint-Michel, continuateur de la
Chronique de Sigebert de Gembloux, est sans doute le
premier qui ait parlé des médailles pieuses *. Ce qu'il
rapporte en contemporain est assez curieux pour être
rappelé, malgré le merveilleux de son récit. En l’an 1182,
la sainte Vierge apparut, dit-il, à un charpentier travaillant
dans une forêt, et lui remit une médaille {Sigillum), qui
la représentait avec le Sauveur, et sur laquelle étaient
marqués ces mots : Agnus Dei qui lollis peccata mundi,
dona nobis pacem *. Marie lui ordonna en même temps
même il le verrait faire et pratiquer par un clerc, quand même .on
lui dirait que c’est une œuvre sainte et salutaire ; car Jésus n’a pas
mis un remède dans ces choses, mais le diable y à mis son poison. »
(V. Ed. Leglay, Histoire des Comtes de Flandre.)
Le concile tenu en 748, par ordre de Carloman, à Leptines (Estines,
en Hainaut), réprouve aussi l’usage des phylactères, « qui sont des
inventions magiques. » (Schayes, La Belgique et les Pays-Bas, avant
et pendant la domination romaine, t. n, pages 141, 144 et 147).
1. Gergères, Le culte de Marie, p. 413.
2. Sigeberti Gemblocensis cœnobitæ chronicon Paris, 1513. Aubert
Le Mire a donné, en 1608, une nouvelle édition de cette chronique et
de sa continuation.
3. Dans sa préface du premier volume des Ordonnances des Rois
__ 19 —
de remettre cet objet sacré à l’évêque du Puy et de lui
enjoindre, en son nom, de prêcher aux fidèles de sa pro-
vince et des lieux voisins une guerre d’extermination
contre les Routiers, bandes de pillards qui ravageaient
alors la France. Le prélat devait recommander à chaque
enrôlé de porter un petit capuchon blanc, où serait atta-
chée, en signe de paix, une médaille de plomb semblable
à celle qui était censée venir du Ciel; c'est ce qui fut fait.
Une confrérie s'établit aussitôt sous le nom de Paciferi ;
elle forma bien vite une armée considérable qui, l’année
suivante, défit entièrement les ennemis de la paix ‘.
Une de ces médailles a été retrouvée par M. Auguste
Avmard, conservateur des Antiquités du Musée du Puy,
qui l’a publiée?. C'est une plaque polygonale, avec
oreille de suspension, représentan! l'antique Vierge du
Puy assise sur un trône, ayant sur le genou gauche
l'Enfant Jésus nimbé, qui lient de la senestre une croix
en forme de sceptre. La légende porte bien : AGNUS DEI
QUI TOLLIS PECGATA MUNDI DONA NOBIS PACEM. Nous donnons
ci-après la figure de cette curiosité.
de France, de Laurière rapporte les faits et reproduit même le
passage de la chronique, qui y est relatif. — Dans son Discours histo-
rique de Notre-Dame du Puy, le P. Oddo de Gissey explique autre-
ment l'apparition supposée : Un jeune homine aurait été déguisé en
Notre-Dame du Puy, par un chanoine, et se serait ainsi présenté, la
nuit, dans l’église cathédrale, à ce charpentier, nommé Durand.
1. Voir sur ce sujet, Arnaud, Histoire du Veluy, t. 1, p. 135.
2. Notice sur lu Confrérie des Chaperons blanes, insérée dans le
Congrès scientifique de France, 22° session, tenue au Puy.t.11, p.623.
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Si cette médaille rentre dans la classe des signes de
ralliement, il en était d’autres, à la même époque, dont le
caractère était purement religieux. On a, sur les signes de
pélerinage, uu ancien document fort important. Il établit
qu’au xn° siècle, les pèlerins qui allaient visiter, dans la
Basilique de Rome, les tombeaux de saint Pierre et de
saint Paul, y achetaient des espèces de médailles à l'effigie
de ces apôtres, destinées à augmenter leur piété et à té-
moigner de l’accomplissementdeleur voyage. Par sa lettre
du 15 des calendes de février 1198, le pape Innocent III
abandonne aux chanoïnes de sa basilique, non-seule-
ment le droit dont il a joui jusqu'ici, ainsi que ses prédé-
cesseurs, de faire couler de ces enseignes, mais encore
et surtout le profit devant résulter de la vente. Il défend,
sous peine d’excommunication, à qui que ce soit, d'oser
s’ingérer dans ces choses sans leur assentiment et.leur
consentement formel ‘. Comme, parmi les pèlerins qui
1. La lettre papale est insérée dans le Patrologiæ cursus com-
pletus de l'édition de l’abbé Migne, t. cexiv, col. 490 et 491.
— 9 —
avaient entrepris le voyage de la ville éternelle, il s’en
trouvait beaucoup de notre contrée, l’on doit admettre
que ces pieux objets s'y répandirent assez vite. On peut
supposer aussi que ce qui se praliquait à Rome fut suivi
ailleurs pour d’autres pèlerinages.
Le xr1° siècle fournirait facilement des exemples de
l'emploi de médailles religieuses. L'Hôtel-Dieu du Puy
fabriquait des médailles de pélerinage, en vertu d’une au-
torisation épiscopale de 1210, confirmée par deux bulles
d'Alexandre IV. Ce droit lui avait été concédé, avec
peine d'excommunication contre les contrevenants".
On sait quelle fut la profonde vénération du peuple
pour la mémoire de Louis IX, que l’Église a mis au nom-
bre des saints. Aprés la mort de ce prince, arrivée en 1270,
beaucoup de ses monnaies furent trouées et portécs par
les fidèles, qui les considéraient comme des reliques et
leur attribuaient une vertu miraculeuse *. Cette pieuse
pratique se répandit en France et dans les pays voisins,
notamment en Flandre; elle contribua à propager d’autres
objets de dévotion dont nous allons parler.
1. M Aymard, notice déjà citée,
2. Dans son Truité historique des monnoyes de France (édition
d'Amsterdam, p. 176). Le Blanc rapporte, d’après Sponde, que les
monnaies de saint Louis guérissaient les malades qui les portaient.
ajoute : « De là vient peut-estre que la pluspart des monnoyes de
ce saint roy sont trouécs, les malades les portant sans doute pendues
à leur col ou à leurs bras, comme on y porte aujourd’huy les mé-
dailles des saints. » La collection de monnaies de M. Dassy, de Meaux,
dont le catalogue a été rédigé par MM. Rollin et Feuardent, renfermait,
selon ces savants experts, trois deniers tournois de LouisIX, qui ont
été portés comme reliques, et un gros tournois, au nom du même roi,
mais de frappe postérieure, considèré comme pièce religieuse.
__ 99 —
Depuis le xrn° siècle jusqu’au milieu du xvi*, et même
un peu au-delà, nous ne trouvons pas pour notre contrée
de médailles religieuses proprement dites !. Les objets
de dévolion qui en tenaient lieu étaient désignés sous
les noms de signum, insignium, signe, enseigne, imaige ou
image *. Ils ont un caraclère particulier qui les distingue
des médailles; ce sont des espèces d'images métalliques
ou des plaques de plusieurs formes, le plus souvent
carrées ou octogones, avec crochets, oreilles, anneaux et
trous. Presque toujours les enseignes sont unifaces,
surtout quand elles sont en:argent et en cuivre ; failes
pour être portées ostensiblement, comme des cocardes
ou des décorations, elles visaient à l'effet. Les sujets
qu'elles retracent sont ceux des médailles, mais ils sont
trailés plus naïvement.
Les médailles particulières qui ont Émis les èn-
seignes, en différent sous plusieurs rapports; elles ont
4. Nous ne considérons pas comme une exception une pièce
d'argent de notre collection, retouchée au xive siècle, sur le revers
d'une monnaie antique de Corinthe, pour figurer la résurrection du
Rédempteur.
9, Nous devons faire remarquer que ces expressions désignaient
aussi d’autres objets de métal, tels que petites plaques, bijoux et
figurines de. piété qui s’agrafaient à la coiffure ou se portaient au
cou. Les mots signum et insiynum pour insignium se lisent sur
d'anciennes plaques rondes du pèlerinage de saint Jean-Baptiste,
d'Amiens.
_ 93 —
deux côtés el sont d'ordinaire plus petites, plus soignées
et mieux composées ; ovales et quelquefois rondes, elles
portent un anneau. |
Mais revenons aux enseignes. En 1311, les religieux
de Saint-Maximin, en Provence, faisaient couler des
images de sainte Madeleine dans des moules en fer et en
cuivre, appartenant à la sacristie du couvent. Ces moules
étaient confiés à des marchands, chargés de fabriquer
ces effigies de plomb et d’en vendre aux pèlerins qui
affluaicnt à Saint-Maximin. Des maladies contagieuses
ayant décimé la population, la piélé, exaltée par la
crainte, fit tant rechercher ces enseignes, que d’autres
fabricants ne craignirent pas de graver des moules, de
couler de nouvelles images de plomb e: d'en vendre.
C'était un grand préjudice pour les moines, aussi por-
térent-ils plainte à l'autorité royale : en 1354, ils élaient
maintenus dans leur possession, et défense élait faite
de vendre de ces sortes d'images sans l’aulorisation
du prieur du monastère ! j
En 1379, les religieux de l’abbaye de Saint-Eloi, de
Noyon, demandaient à être maintenus dans les immu-
nités dont ils avaient toujours joui, pour la vente de
signes de pélerinages aux fidèles qui se- rendaient en
foule au tombeau de l'évêque monétaire *. Nous trou-
vons. en 1397. la mention d'une ensaigne d’argent pou-
vant valoir deux sols *.
1. L'abbé Faillon, Histoire des inonuments inédits de l’apostolat
de Marie-Madeleine.
2. Jacques Le Vasseur, Annales de l’église cathèd. de Noyon, p. 495.
3. Carpentier, continuateur de Du Cange. Glossariuin novum ad
scriplores medti œvi., t. iv du supplément.
94 —
Le xv*”siècle fournit de nombreuses mentions d’en-
seignes de pélerinage ‘. Sans parler de celles qui ren-
trent dans notre cadre et dont nous parlerons dans Île
cours de ce travail, nous citerons les suivantes, concer-
nant: Notre-Dame de Halle en 1420, 1436, 1440 ct
1441 ; Saint-Adrien de Grammont en 1438: Sainte-Cathe-
rine de Fierbois en 1455: Notre-Dame de Rœux en
1457 *. On doit supposer que l'origine des enseignes ou
4. Les enseignes de plomb et d’étain étaient, au xve siècle, l’objet
d’une industrie importante à Paris et ailleurs. Dans son ouvrage :
Histoire et recherches de la ville de Paris (notes sur les comptes de
la prévôté pour les années 1433 et 1434), Henri Sauval, qui vivait
au milieu du xvue siècle, s'exprime ainsi: « Sçavoir ce que c'est
qu'un biblotier ? c’est un faiseur et mouleur de petites images de
plomb, qui se vendent aux pélérins et autres. » A la même époque,
on appelait miraclier, le marchand de choses pieuses, notamment
d’enseignes de vermeil, d'argent, de plomb et d’étain. (D’Arbois
de Jubainville, Documents relatifs à la construction de la cathé-
drale de Troyes). Dans les Règlements sur les arts ct métiers de
Paris, recueillis par Etienne Boileau et publiés par Depping en 1837,
on lit: « Quiconques veut estre ouvriers d’estain, c’est à savoir
fesieres de miroirs d’estain, de fremœus d’estain, de souneites,
de anèles d’estain, de mailles de plon, de méreaus de toutes
manières et de toutes autres menues choseites appartenant à plon et
à estain, il le peut estre franchement, et ouvrer de nuïz et de jours,
se il li plaist et il en a mestier, et avoir tant de vallés comme il li
plaira ». On voit par là qu’il devait exister à Paris une industrie de
plombs, qui pouvait alimenter les grands pèlerinages, comme le fait
judicieusement remarquer M Forgeais dans sa Collection de plombs
historiés, 2e série, p. 75.
2. De Laborde, Les Ducs de Bourgogne, preuves, passim. —
Revue de la Numismatique belge, 1868, p. 75, article de M. de
la Fons Mélicocq.
Il existe une publication intéressante sur un grand nombre de
gere
imaiges religieuses du nord de la France est également
bien reculée ; cependant les plus anciennes connues ne
peuvent guère être attribuées qu'à la premiére moitié
du xv° siècle. Beaucoup de signes ou de souvenirs de
pélerinages affectent des formes bizarres ; ce sont des
curiosités qui ne sauraient être prises pour des médailles
religieuses, aussi n'ont-elles qu’un faible rapport avec
la numismatique: elles forment une classe à part, qu’on
pourrail désigner sous le nom d’Imagerie populaire.
Nous ne comprendrons pas dans nos planches celles des
enseignes de ce genre qui se rapportent à des localités
curieux monuments de cette classe ; elle est intitulée : Collection de
plombs historiés trouvés dans la Seine et recueillis par Arthur
Forgeais; deuxième série: enscignes de pèlerinage. M. Chalon,
directeur de la Revue de la Numismatique belge, y a rendu compte
de ce travail (p. 101 du t. 4er de la 4 série) ; le savant et spirituel
numismatiste n’a pas manqué d'exercer sa verve satirique et rail-
leuse sur ces images métalliques, dont la plupart, il faut le dire,
laissent trop à désirer sous bien des rapports. M. Didron, l'éditeur
des Annales archéologiques, mentionnant à son tour cet ouvrage
dans son recueil (année 1861, t. xx1, p. 52), n’a pas eu de termes
assez dédaigneux pour ces pauvres plombs qu'il avait trouvés aussi
laids que faux. C'était certainement aller trop loin. M. Garnier prit
la défense de ces modestes monuments, dans sa Notice sur quelques
enseignes de pèlerinaye en plomb concernant la Picardie (p. 36 et
suiv.). Après avoir constaté leur authenticité, le docte Secrétaire
perpétuel des Antiquaires de Picardie prouve que ces enseignes,
quelqu'imparfaites et grossières qu’elles soient, ne sont pas cepen-
dant dépourvues d'intérêt et indignes de la science historique. Aussi
M. Forgeais a-t-il obtenu de l’Académie des Inscriptions deux récom-
penses flatteuses pour ses recherches, dont l’ensemble forme un
ouvrage vraiment précieux, suivant les termes mêmes du rapport
présenté par M. de Saulcy.
00 —
du département du Pas-de-Galais : il nous suffira de les
mentionner ; d’ailleurs, ces plombs excentriques sont
assez rares pour nos contrées, où ils n’ont jamais joui
d'une grande vogue ‘. En effet, malgré les actives re-
cherches faites jusqu'ici, l’on n’en a découvert qu’une
vingtaine, et dans ce nombre figurent, pour les trois
quarts, ceux de Notre-Dame de Boulogne. Il convient
aussi de faire remarquer que, comme plus de la moitié
de ces images métalliques, décrites par M. Forgeais*, ont
été trouvées à Paris, dans le lit de la Seine, on peut sup-
poser qu'elles ont été fabriquées aussi bien pour le pêle-
rinage de Notre-Dame de Boulogne-sur-Seine, que pour
celui de Notre-Dame de Boulogne-sur-Mer *,
Il était cependant des enseignes d’un genre tout
différent; ci-après nous en placerons une du xv° siècle,
bien intéressante, trouvée récemment à Arras: elle est
gravée en creux sur cuivre fort argenté et parait avoir
été niellée autrefois. On y voit le corps inanimé d’un
enfant emmailloté, déposé aux pieds de la Vierge, cou-
ronnée et nimbée, assise sur un trône dont la partie
supérieure est couverte d'ez voto. La Reine du ciel tient
l'Enfant Jésus sur ses genoux ; de chaque côté, un ange
vêtu d’une longue robe porte un chandelier. Ce gracieux
ensemble laisse entrevoir la résurrection de l'être que
4. L'usage de ces images métalliques s’est, jusqu’à ce jour,
conservé en Espagne ; nous en avons vu de modernes, exposées
° A
en vente chez des orfèvres de Barcelone et de Tortose.
2. Collection de plombs historiés, 2e série, p.77 et suiv.
3. Rouyer, Notice historique sur quelques médailles de Notre-
Dame de Boulogne, p. 17. — Forgeais, ouvrage cité ci-dessus,
p. 12. — Garnier, Notice sur quelques enseignes de pèlerinage, p.11.
97
la mort a frappé si tôt. Notre enseigne se rapporte visi-
blement au pélerinage d’un sanctuaire qui passait pour
avoir été témoin du miracle.
Fserene (où
Gyreanoamemne-"26 ><",
Ce qui caractérise les médailles religieuses, ce sont non-
seulement leur forme et leur bélière, mais encore les
sujels pieux qu'elles retracent, el qui se rattachent, soit à
des pèlerinages renommés, soit àdes dévotions populaires.
Quelque variées qu'elles soient, les formes des médailles
de piété de nos contrées sont ordinairement assez sim-
ples. jamais elles ne sont bizarres comme beaucoup
de ces objets de dévotion trouvés dans la Seine. Elles
sont rondes, ovales. carrées, losangées, octogones, en
cœur ou disposées en niche. Le contour est quelquefois
orné, dentelé, ou carré quadrilobé. Sur quelquesméduilles
quatre globules extérieurs forment une croix ; sur d’au-
tres, les mêmes grains, au nombre de dix, servaient de
dizain. En général, dans les xv° et xvie siècles, les
médailles de piété sont estampées, rondes ou carrées :
dans le xvn°, elles sont ovales, rarement rondes ou
octogones ; dans les xvirr® et xix°, elles sont ovales.
La bélière est presque toujours adhérente à la médaille:
si elle en a été détachée, elle v a laissé presque toujours
quelque trace.
_ 98 —
Les médailles que nous publions offrent souvent pour
type principal uae seule figure, quelquefois deux, rare-
ment trois. Elles représentent le plus ordinairement la
Divinité sous ses diverses apparences, la sainte Vierge
sous ses différentes dénominations *, les saints et saintes
particulièrement honorés dans les principaux pélerinages
et dans les dévotions spéciales. Puis viennent les lé-
gendes et inscriptions, les attributs et symboles, enfin
les accessoires et particularités servant à fixer les attri-
butions et à les justifier. On remarquera souvent que ce
qui caractérise nos saints sur leurs médailles, c’est plutôt
le souvenir d’un fait ou d’uue circonstance que l'expres-
sion d’une idée abstraite. |
C’est en notre siècle qu'ont été produites les plus belles
médailles de piété ; le sentiment religieux qui les a ins-
pirées, la dignité des sujets, l'élégance des types, le fini
des détails et la sûreté de la frappe permettent souvent
de les comparer à nos médailles historiques.? Mais
4. On consultera, avec autant d'intérêt que de fruit, sur l’ancien-
neté, l'importance et le nombre des médailles de la sainte Vierge,
une dissertation de l’abbé Bourassé, le savant archcologue. Elle a
pour titre: Numismala Mariana et a été insérée dans le Summa
aurea B. V. Mariæ,t. v, p. 538 et suiv. de l’édition de l’abbé Migne.
9. Les maisons Vachette, Robineau, Vincard, Naudin et Massonnet,
de Paris, de mème que la maison Penin, de Lyon, ont produit une
quantité considérable de médailles de piété répandues sur la surface
du globe. Le plus grand nombre de ces médailles a été frappé à la
Monnaie de Paris.
Il est juste de dire que précédemment, notamment dans le
xvuie siècle, des artistes de talent se sont distingués dans la gra-
vure de ce genre de médailles; citons, entre autres, Philippe
Roettiers, dont les coins particuliers sont conservés au dépôt de
coins, poinçons et matrices de Bruxelles.
_ 99 —
cette perfection a été rarement atteinte pour les médailles
qui font le sujet de cet ouvrage. Trop longtemps, ces
petits monuments furent exécutés par des artistes sans
talent ; orfèvres, fondeurs, potiers d’étain ou marchands
ambulants, qui en faisaient le commerce. Ces fabricants
plus ou moins habiles avaient surtout le lucre pour but,
aussi, s’inquiélant peu de la vérité historique, ne cher-
chaient-ils presque jamais à copier les statues vénérées
qu'ils devaient reproduire. Ce qui pourrait expliquer une
telle négligence sans l’excuser, c'était le bas prix de ces
médailles ; pour que le débit en fût facile et assuré, il
fallait qu’elles fussent d'une minime valeur*. Voilà pour-
2. Nous devons à l’obligeante amitié de M. de Schodt, le docte
secrétaire de la Société royale de Numismalique de Belgique, de
précieux documents sur la fabrication et le prix des médailles reli-
gieuses du milieu du xvr® siècle. Ces renseignements sont tirés
d’un manuscrit flamand intitulé. Kercke-Boeck van O. L V, livre
à l'usage de l’église Notre-Dame de Courtrai, et traduits ainsi:
Paiement de médailles dorées et de médailles d'argent, de cuivre
et d’étain, fournies à l’église pour être emportées par les pèlerins et
les personnes dévotes. Le 7 novembre 1642, il a été livré 18 douzaines
de médailles d'argent à 25 sous la douzaine, une douzaine à 50 sous
et 10 douzaines de médailles d'argent à 15 sous. — Le 24 des mêmes
mois et an, il a été payé à François Grognard, fondeur à Valen-
ciennes, 29 douzaines de médailles à 4 sous la douzaine et 15 dou-
zaines à 2 sous. — Le G juillet de l’année suivante, il a été payé
13 grosses de médailles d’étain, venant de Lille, à 2 livres la grosse,
port en sus, autre grosse de mêmes médailles au même prix et 7 dou-
zaines de grandes, moyennes et petites médailles d'argent venant aussi
de Lille, coûtant avec le port 17 livres 5 patards. — Enfin, le 98 sep-
tembre 1543, il a été payé à Lille, 12 douzaines et demie de médailles
d'argent à 5 livres la douzaine, 26 douzaines à 15 sous et 14 autres à
25 sous. Voilà donc en moins de deux ans le nombre considérable de
3,006 médailles pour une seule dévotion.
90 —
quoi les métaux employés ordinairement pour la fabri-
cation, étaient les plus communs et les moins coûteux :
c'étaient le cuivre, le plomb, l’étain ou un alliage de ces
deux derniers métaux ‘. Les médailles de cette nature
élaient surtout celles qui se distribuaient dans les pèle-
rinages ou qui se vendaient à la porte des églises et des
chapelles lors des neuvaines et pendant les fêtes consa-
crées aux dévotions populaires. Il en est encore ainsi de
nos jours.
Les médailles d'argent, beaucoup moins nombreuses,
étaient aussi vendues par les marchands spéciaux d'objets
de pèlerinage, mais elles rentraient plus particul'ère-
ment dans le commerce des orfévres et des marchands
d’ornements d'église*. Quant aux médailles de vermeil et
d’or, loujours si rares, c’étaient les orfévres et les mar-
chands d’ornements qui les faisaient frapper, après com-
mande. Le même mode de vente subsiste toujours our
les médailles d'or, de vermeil et d'argent.
La vente des médailles religieuses n’était pas toujours
l'affaire exclusive des marchands qui les avaient com-
mandées à des artistes plus ou moins expérimentés, s'ils
ne les avaient faites eux-mêmes. Quelquefois, les chape-
lains, les sacristains ou autres employés des lieux de
4. Les médailles de plomb et d’étain étaient parfois dorées, aussi
en retrouve-t-on avec des traces de dorure que le temps n’a pas
encore effacées entièrement. C’est du reste ce que confirme cet
extrait d'inventaire dressé, en 1567, chez le secrétaire du comte de
Hornes : « Deux rondes médailles petites de plomb dorées, l’une de
Notre-Seigneur et l’autre de Notre-Dame. » (Pinchart, Archives des
Arts, Sciences et Lettres, t. 1, p. 185).
2. Nous en verrons des exemples à l’article de Boulogne-s-Mer.
pèlerinage ou de dévotion n'étaient pas étrangers à cette
vente ; ils en reliraient un bon lucre dont ils profitaient,
ou qui était employé à l'entretien et à l’embellissement
des sanctuaires. Aussi gardaient-ils les moules et les coins
pour se réserver le privilége de la vente el mieux s'assurer
leur part dans le bénéfice qu’elle devait produire. Et si
parfois il arrivail que, sans leur consentement, des mar-
chands vendissent de nouvelles médailles, ils ne man-
quaient pas de les entraver et d'arrêter la vente. De là,
contestations et procès *.
Il faut le reconnaître, il eût été désirable qu’une sur-
veillance fût exercée activement sur ce commerce *. Une
telle mesure aurait arrêté maintes fois le débit de tant de
4. Voir notamment: Histoire des monuments inédits de l’apostolat
de Maricé-Madeleine, par l'abbé Faillon.
Des enseignes et des médailles d'or, de vermeil et d'argent
furent quelquefois offertes aux rois, aux princes, aux prélats et
aux personnages qui se rendaient à des pèlerinages, comme cela
s’est pratiqué à Boulogne-sur-Mer et à Cambrai. (Voir pour cette
dernière ville ses Mémoires de la Société d'émulation, année
1823. p. 313, t. xxx1, p 270 de la première partie). Souvent des
pièces du même genre, mais en cuivre, en étain et en plomb,
étaient distribuées aux pèlerins moyennant une légère offrande, et
même gratuitement.
2. Une petite fraude à signaler : on se tromperait si l’on croyait
que toutes les médailles relisieuses portant pour exergue ROMA ont
été frappées dans la ville éternelle. Souvent les marchands y ont fait
graver ce nom pour laisser supposer aux acheteurs trop crédules que
ces pieux objets venaient de Rome mème et avaient été bénits par le
père commun des chrétiens, On verra un exemple de ce singulier
procédé sur une médaille du Calvaire d'Arras, au revers de Notre-
Dame de Montserrat (n° 98), |
90
médailles grossières et de mauvais goût, trop défec-
tueuses pour porter à la dévotion et surtout indignes du
culte qu'elles devaient entretenir et propager.
Il est facile de se faire une idée de la manière dont ce
genre de commerce s’exerçait d'ordinaire autrefois, en
se reportant à ce qui se pratique de nos jours dans les
fêtes patronales, où figurent encore les étalages d'objets
de piété. A la porte de l'église ou de la chapelle que
fréquentaient les pélerins, étaient rangées les baraques
et les échoppes des marchands que la fête avait attirés.
Aux premières places étaient exposées avec symétrie
des médailles spéciales au pélerinage, les bagues
à sujets pieux, les chapelets, les images et les petits
drapeaux triangulaires représentant le saint vénéré.
Les nombreux visiteurs s’arrêtaient devant ce brillant
étalage et ne manquaient pas d’y acheter, entre autres
objets, des médailles qu'ils portaient sur eux ou qu'ils
attachaient à leur chapeau, comme souvenirs de leur
pélerinage. |
Autrefois, presque toutes les médailles d’or, de ver-
meil, d'argent et de cuivre se frappaient au marteau
avec des coins en acier ; les autres se coulaient dans des
moules de cuivre ou d’ardoise.
Depuis la seconde moitié du xv° siècle jusqu au com-
mencement du xvin°, beaucoup de ces médailles ont été
frappées sur de minces feuilles de métal, comme les
bractéates, dont elles se rapprochent assez par la forme.
Souvent, les deux côtés ainsi estampés séparément
étaient soudés, encastrés ou joints ensemble par les
bords. Quelquefois, ils étaient réunis au moyen d’un
léger cercle ou disque du même métal formant la tranche
—9%—
et ménageant un vide pour faire un petit reliquaire de la
médaille ainsi composée !.
Nous possédons deux moules en pierre d’ardoise,
dans lesquels on fondait des médailles de plomb et
d'étain. Ces matrices, trouvées près de Béthune, font voir
comment le métal était conduit par des jets dans chaque
forme. Les ronds qu'on y remarque sont des points de
repère qui permetlaient de joindre exactement les deux
côtés du moule. Ces matrices, comme celles publiées
par M. Forgeais *, montrent que souvent on coulait à la
fois plusieurs médailles différentes. La première, gravée
sur les deux faces, prouve de plus que, pour activer
le moulage, on superposait plusieurs moules dans les-
quels on versait le métal fondu. Celte opération, dont on
s'explique facilement la simplicité, étail faite sans doute
par les vendeurs eux-mêmes, qui pouvaient ainsi fabri-
quer, où ils se trouvaient, les médailles et autres objets
de piété, selon leur débit.
Quand parfois des médailles religieuses étaient des-
tinées à des personnages, elles étaient en or, en vermeil
ou en argent, et quelquefois elles élaient rehaussées
d'un entourage, où s’enchassaient habilement des perles
et des pierres précieuses 5. Souvent cel encadrement
4. Dans ces espèces de reliquaires on trouve quelquefois, soit de
tout petits morceaux de pain, de cire ou d’étoffe, soit des parcelles
de reliques, soit même de la terre du lieu de pèlcrinage.
2, Collection de plombs historiës trouvés dans la Seine, t. IV,
p. 4kett. v, p. 251 et 253.
3. Inventaire de Charles V, fol. 29. Voir aussi les comptes des
ducs de Bourgogne aux Archives générales du Nord, à Lille, et
3
4
était artistement exécuté en filigrane d’un métal pré-
cieux, dont les filets, d’une finesse admirable et d’une
extrême légèreté, s’enlaçaient et se contournaient gra-
cieusement pour former un ensemble harmonieux,
comme on en voit dans notre cabinet et dans celui de
M. Delattre, de Cambrai.
Comme :l sera plusieurs fois question, dans notre
travail, de médaillons religieux, en forme de boîte, assez
répandus aux xvi° et xvu° siècles, nous croyons pouvoir
publier ici, d’après notre collection, un de ces objets,
aussi curieux que compliqué. Il est en argent, ovale et à
bélière ; il porte, d'un côté, le monogramme du Christ,
el de l’autre, celui de sa mère. Il contient séparément :
. 1° la sainte face, entourée de douze rayons ; ?° la Vierge
et l'Enfant Jésus ; 3° un cornet de chasse avec chainette
à laquelle est attachée une tout petite médaille en brac-
les extraits qui en ont èté faits par M. de Laborde, pour son curieux
travail, malheureusement inachevé : Les Ducs de Bourgogne. Loin
de suivre ce luxe effréné de la maison de Bourgogne, Louis XI avait
choisi le plomb pour la médaille fixée à son chapeau.
Nous ne saurions partager l’opinion émise par M Forgeais dans sa
Notice sur les plombs historiés trouvés dans la Seine, p. 5, touchant
l'usage des trois enseignes de Gabrielle d’Estrées, estimées
25,000 écus. La description détaillée de ces magnifiques objets,
contenue en l'inventaire des bijoux de la célèbre maîtresse de
Henri IV, démontre clairement que c’étaient des joyaux ou parures
d’un caractère tout-à-fait mondain. On peut lire cette description
dans l’ouvrage de M. le comte de Laborde: Notice des ëmaux du
Louvre, 2e partie, glossaire, p. 262,
0e
téale, représentant saint Hubert entre les lettres $S H,
ses iniliales. |
Notre collection renferme un bon nombre de médailles
religieuses, unifaces et assez grandes, des xv° el xvi°
siècles, en cuivre où en plomb, trouées sur les bords ou
munies d’une agrafe. Ces plaques, qui s’altachaient sur-
tout au chapeau, servirent de signes de ralliement et de
reconnaissance. Elles furent employées pour constater
l'accomplissement de vœux, de devoirs pieux ou de
peines à expier, mais elles étaient presque toujours des
marques extérieures de dévotion ‘. On se rappelle la
médaille ou l’image de plomb que Louis XI portait à son
chapeau *. L’on sail aussi que l’exemple donné par le
4. Les enseignes et médailles que les pèlerins rapportaient de
leurs pérégrinations facilitèrent souvent leur retour ; montrées aux
fidèles, elles leur inspiraient la charité.
2. Philippe de Comines, Mémoires, livre second, chap. vit. Dans
son Trésor des merveilles de T'ontainebleau, le père Daniel dit avoir
vu, dans cette résidence royale, une petite image de plomb représen-
tant la Vierge, que l’on tenait être celle que ce prince portait
ordinairement à son chapeau.
Dans son Histoire des Ducs de Bourgogne de lu Maison de Valois
(Ge édition, t. vit, p. 18#), M. de Barante s'exprime ainsi, à l’année
— 36 —
superstitieux et rusé monarque fut bientôt suivi par ses
sujets, et combien cette mode se répandit dans les cam-
pagnes, où elle se maintint longtemps ‘. Pendant les
troubles des Pays-Bas, en 1566, cet usage reprit une
nouvelle faveur dans ces provinces ; il eut d’abord un
caractère politique, mais il redevint et resta religieux *
4483, touchant la piété de ce roi dévot pour les médailles reli-
gieuses : «11 avait toujours eu une grande foi aux images bénites, et
souvent en avait porté sur lui, cousues à son chapeau. Maintenant il
en avait un plus grand nombre que jamais, et, selon sa fantaisie du
moment, il avait dévotion tantôt à l’une, tantôt à l'autre. Il les
baisait de temps en temps, ou bien se jetait à genoux et récitait
soudainement une oraison adressée à quelqu’une de ces images...
Presque toutes étaient de plomb ou d’étain, comme on les vendait au
peuple. Les marchands colporteurs venaient lui en apporter, et une
fois il donna cent-soixante livres à un petit mercier qui, dans
sa balle, en avait une bénite à Aix-la-Chapelle. »
4. Montfaucon, Monuments de la monarchie française, xve siè-
cle, — Monteil, Histoire des Français des divers états, t. 11, chapitre
intitulé : Le Cultivateur. On trouve dans les manuscrits un grand
nombre de miniatures qui représentent des personnages avec une
médaille au chapeau.
2. Strada, Histoire de la guerre des Pays-Bas, t. 1, liv. v. —
Van Loon, Histoire métallique des XVII provinces des Pays-Bas,
t. 1, p. 84.
Lors des troubles, les confédérés connus sous le nom de Gueux,
avaient porté au cou par affectation et comme signe de ralliement,
des médailles de cire ou de bois, puis de cuivre, d'argent et d'or,
sur lesquelles on lisait: En tout fidelles au roy jusqu’à porter
la besace. Pour combattre cette démonstration hostile, le duc
d’Arschot, qui avait une grande vénération envers Notre-Dame
de Halle, fit frapper des médailles d'argent en l'honneur de ce culte
célèbre parmi les catholiques de la contrée. I] porta cette médaille à
son chapeau comme preuve de son récent pèlerinage à cette dévo-
tion ; son exemple fut bientôt suivi par ses gentilshommes et par de
nobles Bruxellois. Le pape en ayant été informé par la gouvernante
des Pays-Bas, approuva cette piété, bénit et consacra les médailles
ap
Aux xvau et xvir1° siècles, les médailles de dévotion,
plus petites que les premières et d’un usage plus géné-
ral, avaient deux types et une bélière. Les hommes
pieux les allachaient bicu à leur chapeau par un cordon;
mais ce n élait plus que comme des souvenirs de pèleri-
nage, ou comme des objets de dévotion particulière. Les
femmes, les jeunes filles et les enfants n’ont cessé d’en
porter au cou et sur la poitrine.
Rappelons encore quelques emplois des médailles re-
ligieuses. Les fidèles en gardaient dans leur bourse, afin
d’être souvent incités à la prière el à de bonnes œuvres ;
ils en ornaient de petites boites de bois qu'ils portaient
sur eux avec la même intention; ils en mettaient dans
leurs constructions nouvelles et dans leur demeure pour
y appeler la protection divine. Ils en ornaient les croix
et reliquaires ‘; ils en mettaient au bas des chapelets,
et quelquefois à chaeune de leurs dizaines de grains *..
dont elle était l’objet, et y attacha des indulgences. Dès lors, tous les
catholiques de ces provinces portèrent des médailles de Notre-Dame
de Halle ou d'autres dévotions. (Juste Lipse, Histoire de Notre-Dame
de Halle. — Strada, Histoire de la guerre des Pays-Bas, t. x,
Jiv. v. — Van Loon, Histoire métallique, t. 1, p. 84 à 87. — Derode,
Histoire religieuse de la Flandre maritime, p. 1068).
Dans les Mémoires de Pontus Payen, t. 1, p. 365, on lit qu’une
médaille de la Vierge fut donnée à l’infortuné Lamoral, comte
d'Esmont, décapité, en 1568, pour avoir entretenu des liaisons avec
les confédérés. C'était sans doute une médaille de Notre-Dame
de Halle.
1. Nous avons admiré dans la trésorcrie de la cathédrale de Cologne
un riche reliquaire cylindrique auquel sont appendues dix précieuses
médailles de piété.
2. Nous possédons trois de ces chapelets ainsi composés.
__ 38 —
Enfin ils en plaçaient comme ex-voto dans les chapelles.
On retrouve encore de nos jours la plupart de ces pieuses
pratiques. Dans les familles chrétiennes, vous voyez la
médaille de la Vierge Marie, protectrice de la France,
et celles de nos saints les plus vénérés *.
Nous n'avons pas à parler ici des effets prodigieux attri-
bués aux médailles de dévotion ; ce sujet a été traité, pour
plusieurs d’entre elles, dans des ouvrages spéciaux *.
Disons cependant un mot de la confiance et de la piété
qu'inspirent encore ces médailles. C'est avec amour que
la tendre mère passe sa médaille au cou de son jeune
enfant ; c'est avec foi que le soldat sur le champ de
bataille, et le marin dans les tempêtes et au milieu des
écueils de l'Océan, portent celle que leur pauvre mère
leur à remise à leur départ.
La médaille religieuse la plus répandue depuis le
1. Que de médailles religieuses furent dispersées et anéanties
pendant la Terreur, quand, en 1793, la commune de Paris défendait,
par arrêté, d'en vendre et même d’en montrer ; quand elle faisait
brûler publiquement toutes les choses saintes que, dans sa fureur
impie et sacrilège, elle appelait hochets de fanatisme ! Les nouveaux
niveleurs eussent voulu aussi interdire la prière, comme le démontre
une de leurs brochures : Grande dénonciation faite aux Jacobins
dans la dernière séance contre les diseurs de chapelets, et découverte
d'une conspiration universelle duns les palenôlres.
2. Voir notamment : Notice historique sur l’origine et les efjets de
la nouvelle médaille frappée en l'honneur de l’Immaculée-Concep-
lion de la très-sainte Vierge, et généralement connue sous le nom de
Médaille miraculeuse, — Aladel, La Médaille miraculeuse. — Le
R. P. Dom Prosper Guéranger, abbé de Solesmes, Essai sur l’ori-
gine, la signification et les priviléges de la Médaillelou Croix de
saint Benoît,
L: 40 —
xvri° siècle jusqu à la Révolution fut celle de saint Benoit ;
aussi en connail-on une infinilé de variétés. Nulle part
celte médaille n’a été mieux accueillie que dans le nord
de la France, si l’on en juge par le grand nombre
d'exemplaires qu'on y trouve‘. La spécialilé de notre
travail nous engage à rappeler, après beaucoup d’autres,
le sens de lettres détachées qui se lisent sur la médaille,
initiales à l'apparence si mystérieuse, que le vulgaire avait
donné à celte pièce le nom de médaille des sorciers *.
Voici quels sont ces caractères avec leur signification la-
tune: [HS {lesus Hominum Salvator). VRSNSMV.SMQLIVB
(Vade Retro, Satana; Nunquam Suade Mihi Vana. Sunt
Mala Quæ Libas ; Ipse Venena Bibas). Sur la ligne perpen-
diculaire de la croix sont les lettres: CSSML. /Crux Sacra
Sit Mihi Lux). Sur la ligne horizontale : NDSMD. {Non
Draco Sit Mihi Dux). Entre les branches de la croix : CSPB.
(Cruz Sancti Patris Benedicti).
Celles des médailles de saint Benoît qui, par leur
style, leur fabrique et leur nombre, semblent appartenir
à notre contrée, sont aux types suivants: Le religieux,
nimbé, vu en buste à droite, est près d'un prie-Dieu sur
lequel est un livre ouvert; il est en prières devant un
1, Notre médaillier renferme plus de cent variétés de cette médaille,
recueillies dans la contrée.
2. Les cfjets et vertus de lu croix, où médaille du grand
Palriurche saint Benoist.— Le Magasin Piltoresque, t. 1x, p. 92. —
Le R. P. Dom Guéranger, ouvrage déjà cité. — L'abbé Coffinet,
Médaille de saint Benoît, vulgairement el improprement appelée la
Médaille des sorcicrs, notice insérée dans les Mémoires de la Société
académique du département de l'Aube, t. XXIX, p. 258.
ire
crucifix au pied duquel on voitune mitre. La légende porte:
S P BENEDICT VS. Souvent ce sujet est remplacé par les
lettres IHS, qu'entoure une légende composée des ini-
tiales des deux premiers vers transcrils ci-dessus. Le
revers offre toujours la croix ancrée, avec les autres
initiales.
Au siécle dernier, jusquà la Révolution, d’autres
médailles de piété trouvérent un débit considérable
dans tout le nord de la France, notamment dans l’Ar-
tois. Citons celles de saint Hubert, de saint Roch, dela
sainte face, du saint suaire de Besançon, de Notre-
Damc de Liesse, de Notre-Dame de Cambrai, de Notre-
Dame de Bon-Secours et du Calvaire d'Arras. Notre siè-
cle a aussi produit, pour ces dévotions, de nouvelles
médailles qui se sont encore vendues à très grand nom-
bre dans notre contrée ; ajoutons-y la Médaille miracu-
=
leuse, celles de Notre-Dame de Boulogne et celles du
bienheureux Labre.
Les médailles religieuses, surtout les plus anciennes,
n'ont souvent qu'un côté; quelquefois elles en offrent
deux semblables. Pour la classification de celles qui
présentent deux faces différentes, il convient de dis-
tinguer le droit, ou côté principal, du revers, qui n’en
est ordinairement que le complément ou l'accessoire.
Cependant, les deux sujets ayant parfois la même im-
portance, chaque côté peut être pris également pour droit
et revers; c’est ce qui arrive surtout quand la médaille
a été fabriquée pour être vendue à deux pèlerinages.
Sans motif de préférence, nous attribuerons la médaille
à celle des deux dévotions qui se présentera la première
dans l’ordre alphabétique. On observera que le ‘sujet
principal n'est pas toujours celui qu’on supposerail.
Citons pour exemple le type si répandu de Notre-Dame-
de-Grâce de Cambrai; la médaille qui l’offre d’un côté
ne doit pas appartenir à cette ville, si le sujet reproduit
sur l’autre lui est tout-à-fait étranger.
Nous avons adopté pour la classification des médailles
de ce recueil, l’ordre alphabétique des lieux et une seule
suite de numéros, ce qui facilitera beaucoup les re-
cherches, sans nuire trop à l'ensemble. Chaque article
sera précédé d’une notice succinte, où nous retracerons
l'histoire du culte auquel les médailles se rapportent.
Nous aurons soin de mentionner ce qui pourra servir à
leur explication et à leur interprétation, et d'indiquer la
bibliographie ct l'iconographie de toute dévotion spéciale. .
Comme la plupart des médailles comprises dans notre
travail sont de forme ovale et porlent une bélière, nous
= 49, =
nous dispenserons de noter ces particularités: donc
l'absence d'indication sur la forme de la pièce signifiera
qu’elle est ovale et à bélière. De même, les personnages
figurés sur les médailles étant ordinairement représentés
en pied, debout et de face, nous supposerons qu'ils sont
ainsi disposés ; quand il en sera autrement, mention en
sera fuite. Nous devons encore prévenir le lecteur que,
s’il ne trouve point après la description de la médaille
l'indication du cabinet où elle se trouve, c’est que nous
la possédons. La plupart des médailles que nous allons
publier ont été trouvées dans le département du Pas-
de-Calais. Le plus grand nombre font partie de notre
collection ; les autres nous ont été communiquées
obligeamment par plusieurs amateurs, parmi lesquels
nous aimons à nommer MM. Preux, Rigaux, Delattre et
Faucheux. |
En terminant cette introduction, nous prions nos lec-
teurs d’être indulgents pour un travail qui ne peut être
qu'un essai, maloré les longues recherches qu'il a
nécessilées.
ABLAIN-SAINT-NAZAIRE
Médailles de saint Nazaire
Nous commençons ce recueil par un lieu de pelerinage
qui fournit une suite nombreuse de médailles de dé-
votion. Assis au pied d’une colline, dans une vallée
riante qu'arrosent les sources d’une rivière, le village
d'Ablain-Saint-Nazaire n'avait anciennement qu'une pe-
tite église; elle était placée sous le vocable de saint
Nazaire, le diacre qui. sous Néron, reçut à Milan la
palme du martyre'. Déjà le modeste monument était
renommé pour son grand pélerinage, où l'on venait de
toutes parts supplicr ce saint d'implorer la miséricorde
4, Voir sur ce village, spécialement sur son église et sur le pèleri-
nage de Saint-Nazaire, les notices ct opuscules ci-après : Le comte
Achmet d'Héricourt, Ablain-Saint-Nazaire. — Le même auteur,
Église d'Ablain-Suint-Nazaire. — Terninck, Souchez et Abluin-
Saint-Nazaire. Notre brochure : Souvenirs métalliques du pèle-
rinage d’Ablain-Saint-Nazaire. — La vie de saint Nuzare et
de saint Gelse, marlyrs. — Vies de saint Nazuire et de saint Celse,
martyrs au Ler siècle, honorés d’un culte spécial dans la paroisse
d'Ablain-Saint-Nazaire.
+ =
divine pour la guérison de frénésies, d’autres maladies
mentales et de violents maux de tête!.
Sur l'emplacement de l’humble édifice s'élève majes-
tueusement une église construite dans le style de la der-
nière période ogivale. Ce monument, remarquable par
ses belles proportions, par son architecture hardie et gra-
cieuse, ainsi que par la richesse des détails, fut érigé,
vers 1525, par Charles de Bourbon, seisneur de Carency,
en mémoire de la guérison inespérée de sa fille, atteinte
de folie’. L'un des autels latéraux, celui de saint
Nazaire, où est exposée une partie du crâne du saint, a
continué d’être visité par des milliers de pélerins; mais
c’est toujours le 12 juin et pendant la neuvaine, com-
mençant le 28 juillet, que l’affluence des fidèles est la
plus grande.
Il est à remarquer que les fous eux-mêmes élaient
quelquefois amenés à l’église : les plus tranquilles pou-
vaient se tenir sur le banc de pierre placé à l’intérieur de
la tour; quant aux autres, ils étaient attachés à l’exlé-
rieur, à l’aide d’anneaux qu’on y voit encore, ou mis dans
une cage de fer. Nous trouvons de curieux détails sur un
4. La vie de saint Nazare, p. 10. — Vies de saint Nazaire et
de saint Celse, p. 17. Ces petits livres se sont vendus au lieu du
pèlerinage ; le premier renferme des relations de prodiges et des
oraisons en prose et en vers.
2 A. d'Héricourt, Eglise d’Ablain-St-Nazaire, page 3. L'auteur
nous à laissé dans sa notice une savante description de cet édifice.
8. Au xve siècle et au xvIe, des testateurs ordonnèrent maintes fois
des pèlerinages à l’église d’Ablain-St-Nazaire ; nous en trouvons des
"exemples dans des testaments de 1474, 1480, 1508 et 1538, conservés
aux Archives de la ville de Douai.
=
pélerinage fait en 1584, par un de ces malheureux. Dans
l'espérance d'obtenir la guérison de Jean Clay, de La
Bassée, atteint de démence furieuse, le magistrat de cette
ville avait décidé que ce pauvre insensé serait conduit
au pélerinage de Saint-Nazaire. Jean Clay y fut mené
pour 50 sols, et installé dans une auberge, où se fit une
consommation de 31 sols pour sa bienvenue. Mais déjà
il avait été chargé de fers et mis dans la cage de Monsei-
gneur Saint Nazaire; il y resta un mois, c'est-à-dire
l’espace de trois neuvaines et quelques jours. De là, une
dépense de 19 livres 16 sols pour soins, et de 22 livres
pour nourriture. Quant aux frais du retour, ils ne furent
que de 14 sols. Le curé, qui avait lu chaque jour l’Évan-
gile, à l'intention du forcené, et avait atteslé l’accom-
plissement de son pèlerinage, reçut pour ces causes
24 sols. De son côté, le chapelain loucha 10 sols pour
honoraires de messes qu'il avait célébrées le premier
jour de chaque semaine. Enfin, le receveur de l’église
perçut 4 livres pour droits ordinaires. C’est un total de
0? livres 5 sols acquitté pour le pèlerinage de Jean Clay
par la ville de La Bassée, suivant ses comptes muni-
CIpaux.
Sur toutes les médailles de ce pélerinage, saint
Nazaire est représenté en diacre et nimbé. Il tient d’une
main une palme rappelant avec son martyre, la victoire
qu’il a remportée au prix de son sang'. Souvent il tient
1. Quelquefois cette palme mal dessinée ou incomprise passe pour
une forte branche de buis avec laquelle saint Nazaire semble
asperger un suppliant agcnouillé. Souvent la palme a été prise pour
des verges et baguettes, ce qui forme un contre-sens, car l’action du
saint ne peut être que bienveillance et charité,
— 46 —
dans l’autre main, ouvert ou fermé, le livre de l’Évan-
gile, allusion à ses fonctions diaconales.
Les médailles du pélerinage de Saint-Nazaire connues
jusqu'ici et décrites ci-après, sont au nombre de vingt-
deux: la neuvième, trouvée dans le lit de la Seine,
a fait partie de la collection de M. Arthur Forgeais,
de Paris; les dix-septième et dix-neuvième se voient
dans celle de M. Delattre. Les sept premières sont en
cuivre, ainsi que les n° 16, 17 et 18 ; les n° 8 à 14
inclusivement, le n° 20 et le n° ?1 sont en plomb;
les n°“ 15 et 19 en argent et enfin le dernier est en
alliage de nickel et de zinc.
Nous assignons le milieu du xv° siècle à la première
de ces médailles, le xvi° aux treize suivantes et le
xvir aux n° 15 à 20 inclusivement. Le n° 21 appartient
au xvin, enfin le dernier ne date que d’une vingtaine
d’années. Voici la description de ces objets de piété :
1. S. NAZARE . ES ABELUAI. Cette légende, la
seule où se lise le nom d’Ablain-Saint-Nazaire, remplit
trois côtés d'un encadrement au milieu duquel est
placé le saint, vêtu de l'aube et de la dalmatique. Il
lient d'une main la palme et de l’autre l'Évangile fermé;
à gauche, est une figure agenouillée, derrière laquelle
on voit des ceps ou un fragment de chaîne. Cette
curieuse plaque est carrée ; elle a été estampée sur une
mince feuille de cuivre jaune. Au bas, est indiquée
la place du trou qui devait servir à l’attacher, mais qui
a été maladroitement fait au-dessus de la tête du saint,
2. Dans un double cercle, au-dessus duquel règnent
des branches et des rosaces, est figuré saint Nazaire,
DER De
tenant à la main droite une branche dont le bas se ter-
mine en fleur de lis et présentant l'Évangile de l’autre ;
devant lui, un suppliant à genoux. Médaille ronde
fragmentée, frappée sur une légère feuille de cuivre.
3. Plaque de cuivre, découpée à jour, représentant,
dans un cercle cordé, le diacre martyr, tenant d’une main
le livre de l'Évangile et de l’autre une palme, devant
un suppliant à genoux. La queue, en pointe longue et
aiguë, qu'on voit de l’autre côté fait supposer que cet
objet a été fixé à un cierge.
4. S. NAZARE. Médaille à jour, entourée d’une tor-
sade; la légende, entre deux cercles, est suivie de dix
globules alternant avec des doubles points. Le saint
diacre, qui tient l'Évangile, asperge avec une branche
une figure agenouillée, placée à sa droite.
9. Variété sans torsade et sans jour; ici les mains
du suppliant paraissent altachées à un poteau placé
devant lui.
6. Le martyr, tourné à droite vers un suppliant à
genoux, lient de la main droite des bagucites en faisceau
et de l'autre l'Évangile. Cette petite médaille est, comme
la suivante, frappée sur une mince feuille de cuivre.
Nous en possédons trois exemplaires; sur le premier
on remarque quatre petits trous qui ont s:rvi à atlacher
cet objet de dévotion à une coiffure ou à un vêtement.
Les deux autres, assemblés par un cercle avec anneau,
forment ainsi un pelit reliquaire qui éiait porlé au cou".
1. D'ordinaire ces sortes de boîtes contenaient des reliques, des
parcelles d’étoffes ou du pain bénit On en a souvent trouvé dans la
Morinie.
ED ee
7. Médaille dont le champ est pointillé; elle offre
le même sujet, mais ici le diacre est posé en sens
inverse ; le faisceau est dans sa main droite et l’Évan-
gile dans l’autre. La figure agenouillée est aussi posée
en sens inverse.
8. Médaille-reliquaire sans revers. Saint Nazaire y est
représenté ayant à sa droite une figure priant agenouillée;
de l’autre côté, la lettre X2, initiale du saint.
9. Plaque en carré long, dont les angles supérieurs sont
arrondis, présentant ainsi la forme d’une niche. Les deux
côtés sont ornés d’une bordure en torsade. Le droit nous
montre saint Nazaire, tenant une branche au-dessus d’un
suppliant agenouillé à sa droite. À sa gauche, ses initiales
S. N superposées ; au-dessus, des ceps ou un fragment
de chaîne. Revers: la Vierge, nimbée, tenant l'Enfant
Jésus sur le bras droit; près d'elle, deux plantes; dans
le haut, deux grandes fleurs renversées. Cette curiosité
a été publiée par M. Forgeais, dans sa Collection de
plombs hisloriés, 4° série, p. 205 à 208, et par le Père
Cahier dans ses Caractéristiques des Saints, p. 789".
10. Ce plomb a la même forme que le précédent, c'est
aussi celle des quatre numéros suivants. Dans un enca-
drement composé d’une torsade et d’un filet se trouve
1. Après une assez longue discussion, M. Forgeais avait proposé de
donner cette singulière plaque à saint Mathurin ; le Père Cahier ac-
cepta et reproduisit cette attribution. Si ces deux estimables auteurs
avaient connu les médailles déjà publiées du pèlerinage de Saint-
Nazaire, ils ne se seraient certainement pas égarés ainsi.
La découverte de cette plaque dans la Seine prouve combien cette
dévotion était accréditée au loin.
— 49 —
saint Nazaire, portant aube et dalmatique; il est légère-
ment incliné et tourné à gauche. Il tient en la main gau-
che l'Évangile et asperge avec une branche un enfant aita-
ché à un pilier, les mains derrière le dos. À. Dans un en-
cadrement semblable, avec arcatures dans le haut, on lit
l'inscription suivante disposée en trois lignes : S. NASSAR.
11. Plomb un peu plus haut, comme les trois sui-
vants; ici une simple torsade forme la bordure. C'est le
même saint, se tenant du même côté, la tête droite;
il touche avec une branche l’épaule d'un malheureux
forcené attaché à un poteau par les mains fixées der-
rière le dos. À. Dans un encadrement de grènetis avec
filet, dont le haut porle intérieurement des ornements
fleuris, on lit en trois lignes: - S- NASZAR.
12. Autre plaque avec bordure cordée, dont le champ
est occupé par le diacre martyr, placé à gauche, tenant
une branche devant un fou presque nu, lié par derrière
à une colonne légère. Le revers est copié sur celui du
n° 11. |
13. Variété de la plaque précédente, dont l'exécution
est moins correcte et plus lourde. Il en est aussi de
même du revers, cou.posé comme les deux précédents.
14. Dans un encadrement avec grènetis et filet, le
même type, beaucoup plus soigné et mieux dessiné.
Le saint tient à la main droite une longue branche, et le
fou est attaché à un double pilier. Le revers est encore
le même, si ce n’est que l'inscription porte: S. NASSAR.
15. Petite médaille, formée de deux côtés semblables,
réunis par une soudure. Gest toujours le sujet ordi-
paire. Le saint touche d’une branche l'épaule d’un for-
4
—
cené qui est à sa gauche et dont les mains sont liées
derrière lui. Au-dessus, les initiales S. N.
16. Médaille ronde, composée de deux légères feuilles
de cuivre soudées ensemble; elle est d'une exécution
remarquable et surpasse de beaucoup toutes celles que
nous venons de décrire. Légende : S NAZARE. Le glo-
rieux martyr tient de la main droite des branches et de
l’autre l'Évangile ouvert; derrière lui, à sa droile, une
petite figure ayant les mains jointes. À. Oslensoir à cy-
lindre, richement orné.
17. S: NAZAR. Saint Nazaire, lenant une palme et.le
livre des Évangiles ; à sa gauche, un enfant agenouillé.
Médaille estampée sur une frêle feuille de cuivre; elle
n a pas de revers.
18. Médaille octogone, faite de deux légères feuilles de
cuivre. S - NAZARE. Le saint entre deux petites figures
suppliantes, l'une de face, l'autre de profil. À. N'D
DE GRACE : buste de la Vierge portant l'Enfant Jésus,
imilation du type de Notre-Dame de Grâce de Cambrai.
19. Autre médaille de forme oclogone, au type du
droit de la précédente, avec la lésende S . NAZARE.
À. Notre-Dame de Grâce, telle qu’elle est représentée
sur beaucoup de médailles religieuses de Cambrai,
d'après le tableau si vénéré de la cathédrale de cette
ville. Médaille publiée par M. Robert dans son savant
ouvrage : Numismatique de Cambrai, pl. xziv, n° 9;
l'éminent numismatiste, qui reconnaît que cette pièce
n'a pas été frappée pour Cambrai, ne la donne que
comme exemple de la reproduction du type cambrésien.
|. =
20. Médaille assez mince, d'une facture bien maigre.
L'anneau et trois globules extérieurs forment la croix. Le
saint, placé dans un double cercle, tient l'Évangile ouvert
et la palme devant un fou attaché à un poteau. À. SAINCT-
NAZAR - PRIE : POVR NO, entre un double filet où règne
un rang de points et un filet simple. Le centre est occupé
par le monogramme moderne du Christ, surmonté d'une
croix et séparé des trois clous de la Rédemption par une
longue barre.
21. SAINT NAZARE. Le martyr est représenté sur un
plancher carrelé, tenant d'une main une palmeetde l'autre
l'Évangile. À. Descente du Saint-Esprit, sous lequel se lil
le mot CONSOLATEUR, épithète donnée souvent à la troi-
sième personne du Verbe. Ce sujet est fort bien choisi
pour l’objet du pélerinage.
22. SAINT NAZAIRE. Le saint avec les mêmes attributs.
À. L'inscription suivante en cinq lignes: SAINT NAZAIRE
PRIEZ POUR NOUS. Cette médaille, de forme ronde, sans
bélière, a été frappée, il y a peu d'années, à plusieurs
milliers d'exemplaires, par les soins du curé actuel de
la paroisse. .
Les n° 1,10, 15, 19 et 21 ont été publiés dans nos Sou-
venirs métalliques du pèlerinage d'Ablain-Saint-Nazaire.
II
AIRE-SUR-LA:-LYS
Les comtes de Flandre Bauduin de Lille et Philippe
d'Alsace, l’un fondateur, l’autre bienfaiteur de l’église
collégiale de Saint-Pierre d’Aire, l'avaient enrichie de
reliques de la vraie croix, de saint Adrien, de saint
Pierre et de saint Jacques le Majeur. Dès l’an 1200,
le pape Innocent IIT avait accordé des indulgences aux
fidèles qui viendraient y honorer ces reliques ; aussi les
pèlerins sy rendaient-ils en foule’. A ces reliques
vénérées s’en joiguirent d’autres de saint Victor, de
saint Jean-Baptiste et de saint Eloi, qui furent aussi
l'objet d'un culte particulier. Enfin les fidèles y venaient
encore implorer la protection de la Reine du ciel dans
4. Arnould de Raisse, Hierogazophylacium belgicum, sive the-
saurus Sacrarum reliquiarum Belgii. — Morand, Esquisse scéno-
graphique et historique de l'église Suint-Pierre d’Aire-sur-la-Lys,
p. 33. — L'abbé Van Drival, Trésor sacré de la cathédrale d'Arras;
Histoire du chef de saint Jacques-le-Majeur. — Rouyer, Recherches
historiques sur le chapitre et l’église collégiale de Saint-Pierre
d’Aire-sur-la-Lys.
son sanctuaire de Notre-Dame-Panetière'. En dernier
lieu s'établit une dévotion à sainte Æliana, vierge mar-
tyre. Nous avons seulement à nous occuper ici de celles
de ces piétés dont nous connaissons des souvenirs
métalliques et d’une médaille religieuse qui se rattache
au siége d’Aire par Louis XIII.
Médailles de saint Jacques Le Majeur
Aire n’a pas eu de dévotion particulière plus renommée
et plus suivie que son pélerinage célèbre en l’honneur
de cet apôtre. Nous avons déjà dit qu'une relique de ce
saint avail été donnée à la collégiale par Philippe d'Alsace.
La possession de cette relique, consistant en la partie an-
térieure du chef, fut la cause d'un différend fort animé
entre ce comte et l’abbaye de Saint-Vaast d'Arras, que-
relle qui dura de 1166 à 1172°. Cette relique si disputée,
d’abord déposée dans une châsse, fut bientôt placée dans
un reliquaire d'argent massif, représentant le buste du
saint, posé sur un socle supporté par quatre anges. Elle
fut ainsi exposée à la vénération du peuple dans la cha-
pelle du saint, où l’on venait de tous côtés servir le glo-
rieux apôtre. Mais la foule était plus grande encore le
25 juillet, jour de saint Jacques, qui devint une fête
communale. C’est alors que « le chapitre faisait dans la
1. Rouyer, ouvrage cité ci-dessus, pages 181 et suivantes.
2, Un grand nombre d’historiens ont rapporté ces démélés, entre
autres Guiard des Moulins, Malbrancq, Gazet, Ferri de Locres, Bol-
landus, Le Nain de Tillemont et, de nos jours, MM. Harbaville, Mo-
rand, Rouyer et Van Drival.
= bre
ville une procession générale dans laquelle le reliquaire
de saint Jacques était porté par deux chanoïnes. Les con-
frères-pèlerins de saint Jacques assistaient à cette pro-
cession avec leurs larges chapeaux et leurs bourdons; ils
se faisaient précéder d’un des leurs, monté sur un cheval
blanc, et portant un étendard, pour marque, disent les
anciens mémoires, des vicloires remportées par saint
Jacques sur les infidèles ‘. »
Au xvr siècle, le chapitre faisait vendre à ce péleri-
nage des enseignes ou médailles du saint, au profit de la
fabrique de la collégiale. En 1526, Jacques de Favières,
qu’on doit supposer orfévre à Aire. en avait frappé une
douzaine en argent, et, en 1550, François de Favières, sans
doute son fils, en avait fait deux douzaines de même mé-
tal, à raison de neuf deniers la pièce. et trois autres dou-
zaines en lailon, au prix d’un denier par médaille ?. Nous
serions trop heureux de supposer que les deux plaques
décrites ci-après, trouvées à Thérouanne et attribuées
par nous au célèbre pèlerinage d’Aire, sont les médailles
dont il vient d'être question.
23. Très-grande et belle plaque ronde, fort mince, en
cuivre estampé. Un large enca:lrement contient seize
coquilles dont chacune est séparée par deux besants
placés l’un au-dessus de l'autre. Dans le champ, on voit
saint Jacques assis sur un large siége, entre deux fleurs.
Il porte chapeau de pélerin et manteau; il tient de
la main droite un bourdon auquel est attachée une
panetière ; dans l’autre est l'Évangile.
1. Rouyer, Recherches historiques, page 176.
2. Comptes de la fabrique de l’église collégiale d’Aire, notamment
ceux de 1526-27 et de 1550-51 (Rouyer, Recherches hist., p. 175).
oo
24. Aulre plaque ronde, uniface, frappée aussi sur
une mince feuille de cuivre; elle représente le Christ
en croix, ayant saint Roch à sa droite et saint Jacques à
sa gauche, l’un et l’autre avec .leurs attributs ordi-
naires. De chaque côté, une haute tige portant trois
fleurs qui symbolisent la Trinité, et, vis-à-vis du titre de
la croix, un croissant et une éloile. Par son style et sa
fabrique celte enseigne appartient bien à la Morinie. Il
en est de même de la précédente.
Mrdailles de saint Jean-Baptiste
La relique de ce saint possédée par la collégiale d’Aire
y fut longtemps l’objet d’une vénéralion profonde et
d'un culle particulier". Il en fut surtout ainsi après
l'abantlon, en 1553, de l’abbaye de Saint-Jean-au-Mont-
lez-Thérouanne, où le Précurseur était aussi honoré.
Il v avait à Aïre un hôpital de Saint-Jean-Baptiste el
il v exislail une confrérie de la décollation du saint,
qui avait principalement pour but le soulagement des
prisonniers. Les membres de cette association charitable
portaient des médailles dislinctives en argent. On connait
deux sortes de ces insignes appartenant, l'un, à la
seconde moitié du xvn° siècle; l’autre, à là première du
siècle suivant: elles offrent, d’un côté, la tête du Précur-
4. Dans son Hierogazophylacium belyicum, Arnould de Raisse
cite une partie du chef de saint Jean-Baptiste parmi les reliques et
joyaux de la collégiale. Suivant une communication obligeante de
M. le baron Dard, cette relique était très-révérée au xvie siècle et
on y faisait des offrandes.
EN Ne
seur, entourée de rayons el penchée à droite sur un
plat ; de l’autre, le nom gravé d’un confrère. Le premier
de ces insignes, qui est rond et quelquefois entouré
d'un cercle d’or avec bélière, porte en légende : La decol-
lation de S. Jean Baptiste d'Aire. L'autre, plus grand,
ovale et muni d’un anneau, a pour légende gravée: La
conf. de la dec®. de S. Jean-Bt. a. Aire*. |
Nous croyons pouvoir attribuer à la dévotion qui nous
occupe plusieurs médailles unifaces, représentant la tête
de saint Jean-Baptiste avec une longue chevelure et les
yeux fermés, placée dans un bassin dont les bords sont
plus ou moins ornés. À l'appui de notre opinion, que
nous reconnaissons bien discutable, nous exposons les
motifs ci-après: toules ces médailles, au nombre. de
quinze, oni été trouvées dans les environs d’Aire, prin-
cipalement à Thérouanne. Les trois premières, estampées
dans la seconde moilié du xvi° siècle sur de minces
lames de cuivre, se classent dans la Morinie par leur
style et leur fabrique. Les neuf suivantes, aussi en
cuivre, toutes munies d'une forte bélière, mais bien plus
épaisses, ont entre elles une si grande affinité, qu'il
4. Médaille publiée par M. Preux dans la Revue de la Numisma-
tique belge, 1860, pl. xiv.
2. Cette seconde médaille, plus rare que la première, est dans la
collection de M. Deschamps de Pas.
Au commencement du xvrie siècle, la confrérie avait créé, pour ses
distributions de secours aux indigents, des méreaux particuliers
dont le moule est conservé aux Archives municipales d’Aire. Au
droit est la face de saint Jean-Baptiste entre les lettres IB, ses
initiales ; au revers, une aigle éployée, armes de la ville ; au-dessous,
une fleur de lis.
serait difficile de les séparer ; il en est surtout ainsi des
n° 30, 31, 32, 33 et 35, si peu différents l’un de l’autre.
Remarquons, en passant, que le n° 29 doit appartenir
au commencement du xvi° siècle, tandis que les huit
autres sont de la premiére moitié du xvri°. Quant aux
trois dernières médailles, qui sont d'argent et plus
modernes, elles semblent avoir aussi une origine com-
mune. Disons, enfin, que quatorze de nos médailles
ne sauraient être attribuées à l’abbaye de Saint-Jean-au-
Mont, puisqu'elles sont postérieures à l'abandon de
ce monastère.
Malgré les raisons que nous avons alléguées, une
partie des médailles dont nous venons de parler pour-
rait sans doute être revendiquée par Amiens, pour son
célébre pélerinage de saint Jean-Baptiste. Nous laisse-
rions facilement à ce culte les n°° 28, 29, 34, 37, 38 et 39,
si l'on almettait que ces médailles ont pu se vendre
aussi à Aire. Voici, du reste, la description de nos
médailles, dont les douze premières sont rondes et les
trois autres ovales :
25. Tête de saint Jean-Baptiste dans un trés-large
encadrement composé de lignes, de tresses, de neuf
demi-cercles avec rosaces et de grènetis, le tout for-
mant un riche ensemble.
26. Tête plus grande dans un encadrement plus
petit, formé de deux lignes circulaires enfermant seize
pelits cercles avec trèfles, tous séparés par deux points.
27. Tèle plus petite encadrée dans deux cercles occu-
pés par des zigzags el des annelets. Collection de M. de
Gournay, de Clarques.
_ 58 —
28. - SANUTE IOANES. Une fleur est au milieu de cette
légende et une autre à la fin. Tête du saint un peu pen-
chée à droite. Même collection.
29. CAPVT' SANCTI IOANNIS. Cette légende, placée
entre deux cercles, forme l’encadrement de la tête du
saint, qu'entourent des rayons peu étendus.
30. La face dans un encadrement de huit triangles
que relèvent exlérieurement des lignes obliques.
31. La même médaille n'ayant que sept triangles.
32. Autre avec six triangles ; ici la tête, au lieu d’être
de face, est tournée un peu à gauche.
33. Variété, d’un module plus petit.
34. La face du Précurseur entourée de quatre cou-
ronnes', séparées par des ornements arrondis, le tout
contenu dans une bordure tressée.
39. Médaille qui est presque celle que nous avons
décrite sous le n° 33.
36. Médaille plus commune que les précédentes; le chef
de saint Jean-Baptiste, tourné un peu à droite, a pour
encadrement deux lignes renfermant treize cercles avec
globules.
37. La face du saint dans un double cercle d'écailles.
38. La face dans un ovale de perles entre deux cordons.
4. On voit aussi quatre couronnes sur deux médailles amiénoises
de saint Jean-Baptiste, publiées par M. Garnier dans sa savante et
très-intéressante Notice sur quelques enseignes de pèlerinage en
plomb concernant la Picardie.
— 59 —
39. Même médaille, d’un module bien plus petit.
Le grand nombre, les divers modules et les variétés
de ces objets pieux prouvent qu'ils sont des médailles
de dévotion et non des insignes de confrérie.
Médailles de saint Adrien
Saint Adrian, guerrier romain, qui reçut à Nicomédie
la palme du martyre, vers l'an 306, dans la dernière per-
sécution générale, était honoré d’un culte particulier dans
la chapelle de la collégiale. On y révérait un de ses bras
renfermé, en 1475, dans un reliquaire d’argent doré ct
émaillé, en forme de cornet, puis placé, en 1660, dans
un buste d'argent, sur le socle duquel se lisait ce -chrono-
gramme : HÎC TRANSLATA SVNT ossa ADRIAN Manrinis.
Cette translation avait donné lieu à une solennité qui
augmenta encore la dévotion envers le saint. Quatre ans
auparavant, quand des maladies épidémiques ravageaient
les environs d’Aire, il s'était établi dans l’église une con-
frérie contre la peste : elle avait choisi ce martyr pour
patron ‘. Une piété si ancienne et si répandue laisse sup-
poser l'existence de médailles qui lui soient propres.
Aussi lui atlribuons-nous celles dont la description va
suivre
40. Petite plaque d'argent, en losange, renfermant un
ovale en grénetis, avec oreille de suspension, et trois glo-
1. Morand, Esquisse scénographique, pages 93 et 33. — Rouyer,
Recherches hist., p. 179. — Hennebert, historien de l’Artois, natif
d’Aire, a publié un Manuel des confrères de Saint-Adrien.
— 60 —
bules extérieurs formant ainsi la croix. Elle représente,
entre les lettres initiales $ A, saint Adrien, nimbé, vêtu en
guerrier, portant un casque panaché, tenant une épée à la
main droite, et une enclume avec marteau de la main gau-
che. À ses pieds, est un animal qui figure un lion. Cette
médaille, trouvée à Thérouanne, appartient au milieu du
xvie siècle, époque où la dévotion à saint Adrien, a été
pratiquée à Aire avec le plus de ferveur. Ces circons-
tances jointes à la forme, au style et. à la fabrication
de cette pièce, qui ont beaucoup de rapport avec celles
de notre contrée, nous semblent suffire pour autoriser
notre attribution.
Les trois médailles suivantes, qui appartiennent au
xvir° siècle, sont rondes et diffèrent peu entre elles ; les
deux premières sont de plomb et la troisième d’étain.
Toutes trois proviennent des environs d’Aire ; comme il
n'en a pas été trouvé ailleurs, on peut les donner avec
assurance au pèlerinage de cette ville.
41. Entre les initiales S À, saint Adrien vu de face; il
est nimbé et vêtu en guerrier; ses bras sont levés,
la main droite tient une épée, l'autre porte une enclume
avec marteau. Derrière le saint est un lion couché. Cette
médaille, qu'entoure un cercle, n'a pas de revers.
42. Variété du type précédent, sans les initiales, avec
encadrement tressé. À. IHS : S: ADRIE MA. Inscription
dans un simple cercle, disposée en trois lignes.
43. Le droit offre le même sujet plus grossiérement
dessiné. Une suite de points forme l'encadrement.
À. L'inscription suivante en deux lignes : :S : ADRIEN.
M. Amédée de Ternas, de Douai, possède une médaille
= Ol =
en argent qui concerne certainement cette dévotion ; elle
lui provient d’un membre de sa famille, qui habitait la
ville d’Aire. En voici la description :
44. : S- ADRIANE : ORA . PRO : NOBIS. Buste à droite de
saint Adrien, portant casque et armure; il tient une épée
à la main droite et sur l’autre une enclume avec un
marteau dessus. À. S. ISBER ORA PRO NOBIS. Sainte
Isbergue, en buste presque de face ; elle a un voile et un
manteau. Elle tient dans les mains un plat sur lequel est
une anguille*. Cette médaille porte un encadrement den-
telé. Le revers, dont la légende est en creux, a été retou-
ché au burin et gravé. Il convient de rappeler que sainte
Isbergue ou Giselle, sœur de Charlemagne, qui a passé à
Aire une grande partie de sa vie et qui y est décédée, était
particulièrement honorée dans la collégiale, où une cha-
pelle lui était dédiée*.
Médaille du siége de 1641
Durant la guerre entre la France et l'Espagne, longue
lutte que Mazarin termina par le traité des Pyrénées, la
4 Ce droit est le même que celui d’une médaille publiée avec d’au-
tres, par M. Aug. de Portemont, dans ses Recherches historiques sur
la ville de Grammont. Il est l’œuvre de Philippe Roettiers, dont il
indique le nom. I] fait partie des coins appartenant à la Belgique.
2. Nous décrirons les autres médailles de cette sainte à l’article
d'Isbergue.
3. Morand, Esquisse scénographique, page 25. — L'abbé Van
Drival, Description de l’Église de Saint-Pierre à Aire, page 29. —
L'abbé Robitaille, Annuaire du diocèse d'Arras pour l’année 1866,
page 208.
np9
ville d’Aire fut investie, le 19 mai 1641, par le maréchal
de la Meilleraie, à la tête de vingt-cinq mille hommes.
Son adversaire n'avait à lui en opposer que deux mille,
auxquels vint bientôt se joindre une partie des garnisons
de Béthune et de Saint-Omer. La place se rendit le
26 août suivant, mais après une défense héroïque, dans
laquelle les assiégés avaient rivalisé d'ardeur et de cou-
rage. Les pères jésuites d’Aire avaient aussi affronté les
périls: deux d’entre eux s'étaient fait remarquer, encou-
rageant et stimulant les assiégés, auxquels ils avaient
distribué des médailles pieuses'. Celle dont l'explication
va suivre fut très-probablement donnée en cette cir-
constance.
45. S : IGNATI - S- FRAN XAV: Saint Ignace de Loyola
et saint François Xavier, nimbés et portant un long vête-
ment, tournés l'un vers l’autre; le premier présentant
un livre au second. À l’exergue, on lit le nom latin
d’Aire, ARIA. À. S ISIDOR. Saint Isidore, nimbé, faisant
jaillir une source avec le fer d’un long instrument de
jardinier ; il est placé entre les bustes de sainte Thérèse
et de saint Philippe de Néri, sous lesquels se trouvent
les premières lettres de leurs noms: S THE - S PHI.
Comme c'étaient les pères jésuites d’Aire qui avaient
fait frapper cetle médaille, ils avaient pris pour sujets
du droit la figure du fondateur de leur ordre et celle de
son illustre disciple. La composition du revers s'explique
4. Jean Humetz, Bellum septimestre sive Aria à Gallis obsessa,
p. 29. — Rouyer, Preuves numismatiques des siéges d’Aire-sur-la-
Lys, des xvie et XVIIIe siècles, p. 7.
264 —
aussi facilement; on comprend le choix fait de.saint
Isidore, patron des laboureurs, pour un pays essentiel-
lement agricole. Quant à sainte Thérèse et à saint Phi-
lippe de Néri, l’on sail qu'ils étaient honorés parti-
culièrement dans le nord de la France; de plus, saint
Philippe était le patron du roi d'Espagne, Philippe IV,
comle d'Artois et prince souverain de celte province.
On pourrait voir aussi dans cet ensemble un souvenir
de la canonisation de saint Isidore, de saint [gnace, de
saint François Xavier, de sainte Thérèse et de saint
Philippe de Néri, appelés les cinq Saints, déclaration
solennelle faite par le pape Grégoire XV, le 22 mars
1622 !. L
La précieuse médaille que nous venons de décrire
a été publiée par M.J. Rouyer, dans ses Preuves numis-
matiques des sicges d’Aire-sur-la-Lys, d'après son exem-
plaire unique dont il a enrichi notre collection.
Médailles de Notre-Dame-Panetière
et de sainte Aeltana
On doit à M. Rouvyer une savante histoire de Notre-
Dame-Panelière ; c’est en grande partie à cet intéressant
travail que nous empruntous les détails qui vont sui-
vre ?. Dès le commencement du xr° siècle, une confrérie
1. Nous possédons d’autres médailles aux mèmes types, portant à
l’exergue du droit Roma au lieu de Aria.
2. Notie-Damc-Panetière. Notice historique airienne. — Il a paru
récemment à Aire, à l'imprimerie et librairie de Guillemin, une bro-
chure ayant pour titre : Notice sur Notre-Daine-Panelière.
0
charitable était instituée à Aire sous le titre de l’Assom p-
tion de la Vierge; vers la fin du siècle suivant, elle pre-
nait le nom de Confrérie ou de Charité de Notre-Dame-
Panetière, dénomination qui rappelail ses fréquentes
distributions de pains. Cette association avait sa propre
chapelle dans l’église de Saint-Pierre ; sur l'autel du
sanctuaire, on voyait la Vierge Marie, Lenant l'Enfant
Jésus. C'était principalement le jour de l’Assomption que
la statue était revêtue de ses plus beaux ornements. Au
milieu du xv* siècle, la riche parure se composait, pour
la mère, de bijoux et d’une cotte de drap de damas de
couleur sanguine claire, parsemée de feuilles d'or, et,
pour le Fils, d’une cotte de même éloffe, ornée de trois
enseignes en vermeil de Notre-Dame de Boulogne.
La confrérie avait contribué, en 1496, à la reconstruc-
tion de sa chapelle, et, peu d'années après, elle rem-
plaçait l’ancienne statue par une nouvelle, plus grande
et plus riche, représentée sans l’Enfant Jésus, mais ayant
auprès d’elle de petits anges dorés. Cette madone est
bien celle qui est encore vénérée à Aire ; seulement, une
partie des accessoires a disparu. La confrérie continua
de se développer et acquit avec le temps une grande im-
portance*; la confiance qu'avait inspirée Notre-Dame-
Panelière s'était étendue sur toute la ville, qui s'était
À. Notre-Dame-Panetière, p. 10.
2. Cette association avait, au xXvine siècle, ses méreaux particuliers,
appelés Plombs de Salve. Ils portent les lettres ND P avec une S cou-
chée, au-dessous ; ils ont été publiés par M. Rouyer dans ses Recher-
ches historiques sur le chapitre et l’église collégiale de Saint-Pierre
d’Aire-sur-la-Lys.
ES
placée sous son patronage et considérait la statue comme
son palladium.
Vers le milieu de notre siècle, une dévotion nouvelle
s'établit à Aire, dans l’église de Saint-Pierre. Des fouilles
exécutées à Rome dans les catacombes de sainte Priscille,
par ordre du pape Grégoire XVI, avaient amené la décou-
verte du tombeau d'une martyre, sainte Æliana, qui ren-
fermait ses resles et une fiole encore empreinte de son
sang. Ces reliques furent données par sa Saintelé à Mer
Scott, curé-doyen d’Aire, pour son église de Saint-Pierre,
et, le 12 août 1844, elles étaient déposées avec grande
pompe dans la chapelle qui leur avait été préparée ‘. Dès
lors s’y est élablie, en l'honneur de la sainte, une dévo-
Lion loujours trés-suivie, mais surtout le jour de sa fête,
qui se célébre le premier dimanche d'août. La solennité
de la translation cles reliques et la piété envers la sainte
ont donné lieu aux médailles dont nous donnerons bientôt
la description.
N'aurait-il existé, avant notre siècle, aucune médaille
religieuse de Notre-Dame-Panetière ? on n'oserail trop
le supposer, surtout quand il y a lieu de présumer qu’au
xvi* siècle, des orfévres d’Aïre fabriquaient des médailles
de piété. On connait bien une médaille gravée entière-
ment en creux, que nous placerons à la fin de cetarticle,
sur laquelle se lit en abrégé le nom de la vierge vénérée,
mais cette-plaque est plutôt une pièce historique ou une
pièce de fantaisie qu'une médaille de dévotion. Il est donc
prudent de n'admeltré comme médailles religicuses de
1. M. Morand à donné, dans son Esquisse scénographique déjà
citée, un récit intéressant et fort détaillé de la cérémonie.
SR
Notre-Dame-Panetière, que les suivantes, qui ne per-
mettentaucun doute sur leur classification. Les trois pre-
mières, frappées l’an 1844, en argent et en cuivre, concer-
nent aussi la dévotion à sainte Æliana. |
46. N-D-PARMENTIÈRE, PRIEZ POUR NOUS. Une mé-
prise du graveur rend cette légende inintelligible ; il s'agit
bien ici de Notre-Dame-Panetière. Le sujet est une repro-
duction assez fidèle de la statue révérée. La Vierge est
représentée posée sur un croissant, vêtue d’un large man-
teau, ayant la tête entourée de douze étoiles et lenant
une clef au poignet gauche. À. S® ALIANA, MARTYRE,
PRIEZ POUR NOUS. Sainte Æliana, et non Aliana ; elle
est nimbée, tient une palme à la main droite et place
l'autre main sur sa poitrine. Fleur entre deux points, au
lieu d’exergue. Cette médaille est bien moins commune
que les deux suivantes, ayant été retirée de la vente
aussitôt qu'on se fut aperçu de la singulière erreur de la
première légende.
47. N-D-PANETIÈRE PRIEZ POUR NOUS. Le sujet est
le même que celui du droit précédent. Exergue: AIRE
1844. À. S' ALIANA, PRIEZ POUR NOUS. Sainte Æliana,
représentée comme au n° 46. Exergue: AIRE 1844.
48. Même médaille, d’un module beaucoup plus petit.
La seconde légende, plus correcte, porte : SF ÆLIANA
PRIEZ POUR NOUS. Même exergue.
Nous avons maintenant à décrire, sous le n° 49, une
médaille que Mgr Scott a fait frapper en argent el en
cuivre, il y a peu d'années, dans le but de répandre le
culte de Notre-Dame-Panetière. Elle représente la Vierge
— 67 —
sur des nuages, entre deux anges agenouillés, jouant
des instruments à cordes. Le revers se compose de cette
inscription en sept lignes : DIVINE MÈRE PANETIÈRE,
NOTRE ANTIQUE PATRONNE PRIEZ POUR NOUS.
En 1849, le choléra sévissait à Aire. Comme dans les
autres calamités, la population implora le secours de
Notre-Dame-Panelière, et, le 30 juillet, à la suite d’une
neuvaine, avait lieu une magnifique procession dont l’un
de ses principaux organisateurs, M. Topping, alors vicaire
d’Aire, nous a donné le récit‘. Les quatre-vingts portefaix
de la ville, membres de la confrérie de Saint-Christophe
et de celle de Notre-Dame-Panetière, figuraient dans Île
cortége ; trente des leurs portaient le guidon de la Vierge,
et huit autres la statue révérée. Ce fut pour entretenir el
augmenter leur piélé envers la Reine du ciel, que
M. Topping offrit à chacun d'eux et à diverses personnes
une belle médaille de bronze doré qu'il avait fait frapper
à Lyon, au nombre de cent cinquante exemplaires”. Voici
la description de cette médaille, qui rentre bien dans la
classe des médailles de dévotion :
50. DIVA MATER PANARIA. — Buste à droite de la
Vierge, voilée et nimbée. À. Inscription en six lignes, dont
les deux premières sont séparées des autres par un léger
ornement : CONFRERIE DE S' CHRISTOPHE — PORTE-
FAIX DE LA VILLE D'AIRE 30 JUILLET 1849.
A l’article de Ruisseauville, nous parlerons de l’abbaye
4. Souvenir de la neuvaine et de lu procession de Notre-Dame-
Panetière, à l’occasion du choléru. On y remarque une lithographie
de J. Saudeur, représentant la statue, entourée d'anges.
2, Renseignements fournis par M. Topping.
08
de moines qui existait en ce village et nous verrons qu'on
honorait dans l’église abbatiale une statue de Notre-Dame-
de Foi. C'était un lieu de pèlerinage où se vendaient des
médailles spéciales. En 1635, les religieux, forcés par le
voisinage des armées de fuir leur couvent, s’étaient ré-
fugiés pour quelque temps à Aire. Ils y avaient apporté
leur statue et l'avaient placée à l’église de Saint-Pierre,
dans la chapelle de Saint-Arnould, que le chapitre de la
collégiale avait mise à leur disposition pour la célébra-
tion de leurs offices. Comme ils y étaient autorisés, ils
élalaient là sur une lable images, croix, médailles, cou-
ronnes et rosaires qu'ils vendaient aux fidèles et aux
pêlerins venant servir Notre-Dame de Foi:.
Nous décrirons à l’article de Ruisseauville trois mé-
dailles de son monastère ; elles offrent au droit l’image
de la Vierge, entourée de la légende : N-DAME-DE-FOY, et
au revers, soit l'inscription : A L ABBAIE DE RVISSEAVVILLE,,*
1627 ou 1629, soit un saint nimbé, vêlu d’un rochet. Il
est probable que les deux dernières ont été vendues à
Aire comme à Ruisseauville. Il pourrait même se faire
que la médaille ayant un saint pour revers ait été frap-
- pée d’abord pour Aire, mais rien ne le prouve.
Dans un travail intéressant que le baron Dard vient de
publier sous ce titre : Notice sur le refuge de l'Abbaye de
4. Rouyer, Notre-Dame-Panetière, p.18. — Nous regrettons de ne
pouvoir reproduire ici, à cause de sa longueur, l'ordonnance du doyen
et du chapitre de la collégiale d’Aire, touchant le refuge des religieux
de Ruisseauville et ce qui s’y rattache. Ce document, dont nous
devons la connaissance à l'amitié de M. Rouyer, le docte historien et
numismate, a été extrait par lui du Registre aux actes du chapitre.
60
Ruisseauville, est figurée une médaille singulière, gravée
en creux sur un flan de cuivre rouge, par un artisan in-
habile’. Elle comprend trois objets: la Vierge de Ruisseau-
ville, Notre-Dame-Panetière et le siége d’Aire en 1641.
D'un côté, se lit l'inscription ARIA-oBssESsA 1641 ; elle
est entourée de la légende: #% No - DAME DE RUISSEAUUIL.
De l'autre côté, se trouve une petite croix dans une autre
dont les extrémités arrondies portent des points ou des
clous ; légende: "K No. DA PANT. #4 ORA PRO NOB. Un trou
a élé percé dans le haut. Quoique cette curiosité ne soit
pas précisément une médaille de dévotion, nous repro-
duisons ici, la gravure sur bois donnée dans la notice
précitée.
1 Nous n'avons pas à relever les irrégularités que cette pièce
bizarre présente dans sa composition‘et dans la forme de certaines
lettres.
III
ALLOUAGNE
Médailles de la sainte larme
Allouagne est un grand village à dix kilomètres de
Béthune, son chef-lieu d'arrondissement, désigné dans les
vieux titres sous les-.noms peu différents de : Allone,
Alosnes, Alouana, Allouane, Allouaige, Louaigne, Alloine
et Allewaigne. Cette localité a aussi été appelée Sainie-
Larme, à cause du pèlerinage établi en son église *.
L'histoire locale nous apprend que cetle église fut re-
construite par les seigneurs du lieu, qui descendaient de
la puissante maison d’Assignies. Ce vieil édifice, à trois
1. Malbrancq, De Morinis, t ui, p. 46 — Arnold de Raisse,
Hicrogazophylacium belgicum, p.213. — Abrégé de l'institution ou
érection du pèlerinage d’Alloigne, où se conserve une précieuse larme
de N. S. J.-C. et des miracles qui se sont opérés par la vertu de
cette sainte relique — L’abbé Plique, Allouagne et son pèlerinage
en l'honneur d’une sainte larme de N, S. J.-C; Cantiques en l’hon-
neur de la sainte larme de N. S. J.-C. conservée dans l’église d’Al-
louagne. — Le chanoine Robitaille, Annuaire du diocèse d'Arras
pour l’année 1870, p. 215. — Dancoisne, Numismalique béthunoise,
p. 136.
nefs, de style de transition, est d’ailleurs peu remar-
quable ; certes, il n’attirerait pas l'attention publique, s’il
n'avait élé consacré par un culte spécial, but d’un pieux
pélerinage et sujet de la légende que voici : L’Homme-
Dieu, au moment de ressusciter Lazare, qu'il avait affec-
tionné, pleura sur son tombeau. Les larmes que Jésus
avaient répandues alors, étaient les prémices de la Ré-
demption ; un ange s’empressa de les recueillir, non
pour les reporter au ciel, car elles avaient été versées
sur la terre, el Dieu ne reprend pas ce qu'il donne, mais
pour les conserver précieusement jusqu’à des temps plus
heureux. |
Pendant son règne, qui fut de trop courte durée,
Godefroy de Bouillon, roi de Jérusalem, s'était procuré
en Terre-Saint: d'importantes reliques; il en avait envoyé
plusieurs à sa sainte mère, la bienheureuse Ide. L'illustre
croisé offrit en même temps, par reconnaissance, à sa
nourrice, qui était née à Allouagne et qui y demeurait,
une des larmes que Notre-Seisneur avait versées au sé-
pulcre de Lazare. Elle provenait, paraît-il, du trésor des
Lieux Saints À son tour, la pieuse femme fil don à l'église
de son village de cette précieuse relique, exposée depuis
lors à la vénération des fidèles.
D'après la tradition rapportée par Malbrancq, la sainte
larme d'Allouagne avait été recueillie avec un fragment
de la pierre, sur lequel elle était tombée. Cette pièce fut
placée dans une petite fiole d'argent que renferma une
châsse d’or de grand prix. Telle était la relique vénérée
par une mullitude de pélerins venus de France, de Flan-
dre, de Morinie, d'Artois, de Hainaut, d’Amienset d’autres
lieux, pour demander au Sauveur certaines grâces, et, en
— 7 —
particulier, la guérison de maladies d’yeux'. Dans le cours
du pélerinage, el surtout pendant la neuvaine qui com-
mençait le 21 juin, on distribuait aux fidèles de l’eau dans
laquelle on avait plongé la fiole, des médailles d'argent
et de cuivre, ou des images pieuses qui avaient touché
la relique *.
La Révolution vint arrêter cette piété; la châsse disparut
pendant la Terreur, mais la fiole fut sauvée avec sa reli-
que. Aussi, en 1803. le culte de la sainte larme était-il
rétabli, et les pèlerins reprenaient-ils le chemin du sanc-
tuaire qui a toujours été fréquenté depuis lors. Celte dé-
votion a encore été ravivée par d’imposantes cérémonies
et par les fêtes splendides célébrées,en 1868, sous l’intelli-
gente direction du curé de la paroisse, aidé de M. l'abbé
Plique, dont on connaît le zèle pour la propagation de cette
piété. C'est dans ces cérémonies que furent distribuées
à un grand nombre d'exemplaires une fort belle image”,
et la médaille qui sera bientôt décrite *.
Allouagne n’est pas le seul lieu où s’est établi une dévo-
tion en l'honneur d’une sainte larme du Sauveur; on peut
4. Malbrancq, De Morinis, t. 111, p. 46.
2. Abrégé de l'institution ou érection du pèlerinage d’Alloigne,
page 11.
3. Cette gravure, artistement exécutée par M. Bertin, de Paris, re-
présente, dans la partie supérieure, un ange agenouillé, tenant un
linge sur lequel on voit une grande larme radieuse. Au second plan,
Jésus-Christ ressuscite Lazare, en présence de quelques disciples et
de Marthe. La seconde partie est divisée en deux tableaux, séparés
par un ange debout, au-dessus duquel est posée la relique vénérée ; à
droite est l’église d'Allouagne, et à gauche, l’autel de la Sainte-Larme.,
4. La Revue Arlésienne du 26 juillet 1868. — Robitaille, Annuaire
du diocèse d'Arras pour 1870, p. 231.
192
encore ciler Vendôme *, Thiers en Auvergne, Saint-
Maximin en Provence, Saint-Pierre près d'Orléans, Sélin-
court au diocèse d'Amiens, Liége et Trèves. Il convient
donc de discerner les médailles d’Allouagne d'avec celles
qui sont étrangères à son pélerinage, M. Forgeais a décrit
et publié sept objets de piété portant une larme plus ou
moins ornée ; ce sont cinq grands sachets, un petit mé-
daillon rond avec anneau à consoles et une petite plaque
en forme de cœur couronné *?. Le numismaliste parisien
les attribue tous à la dévotion envers la sainte larme de
Vendôme; toutefois il émet un doute à l’égard des deux
derniers objets qui pourraient bien, selon lui, concerner
la sainte larme de l’abbaye de St-Pierre-lez-Sélincourt ?.
Nous n'avons pas à nous occuper des cinq sachets,
dont les types sont pour la plupart assez bizarres, car ils
ne rentrent, sous aucun rapport, dans notre travail :
nous les laissons bien volontiers à Vendôme. L'apparence
et le style amiénois du petit mélaillon autorisent à le
1. Lire les longues discussions auxquelles deux savants du xviie siè-
cle, Thiers et Mabillon, se sont livrés sur la sainte larme de Ven-
dôme. |
2. Collection de plombs hisloriés trouvés dans la Scine, quatrième
série, imagerie religieuse, p. 65 à 86.
3. Il existe. en effet, des médailles du pèlerinage de Sélincourt,
localité du département de la Somme. Nous possédons deux variétés
d’une petite médaille en cuivre, du xviie siècle, offrant le buste à gau-
che de saint Pierre, tenant une clef, avec cette légende : Sr PIER-
LE SELINCOVR, et de l’autre, une larme suspendue à un crochet,
et ces mots en légende : LACRIMA CHRISTI. Le R. P. Jacques Le
Mercier a traité cett£ dévotion dans un ouvrage ayant pour titre :
Histoire de la Larme sainte de N. S. Jésus-Christ, révérée dans
l’abbaye de Suint-Pierre-lès-Sélincourt.
= à —
donner au pélerinage de Sélincourt 1. Quant à la petite
plaque en cœur,elle est sans doule du même lieu,quoique
par le type elle se rapproche assez de deux médailles
d’Allouagne. Mais ce rapport n’est pas assez déterminant
pour nous faire admettre celte pièce dans notre Recueil.
Les médailles que nous allons décrire, ne laisseront
aucun doute sur leur attribution au pélerinage si renom-
mé de la sainte larme d’Allouagne ; toutes ont d’ailleurs
été trouvées dans les environs du lieu de la dévotion.
Les quatre premières sont du xvi° siècle et les cinq
suivantes du xvri* ; quant à la dernière, elle ne date que
de quelques années. |
51. Ange, sur la tête duquel on voit une petite croix;
il a les ailes ouvertes et tient devant lui un linge sur
lequel se voit une larme. Petite médaille ronde, entourée
d’un grènetis, frappée, comme les deux suivantes, sur
une mince feuille de cuivre, sans revers.
02. Variélé, d’un dessin beaucoup plus correct. Gelte
pièce est de mêmes module et grandeur; un filet rem-
place le grènetis ; la croix manque, mais de chaque côté
de la figure est une plante à trois branches, emblème de
la Trinité.
53. Le même type, dans un cercle qu’encadre un carré
légèrement cintré, enfermé lui-même par un second
cercle. Les espaces laissés libres sont occupés par une
fleur de lis et de gros points. Médaille ronde beaucoup
plus grande que les précédentes.
4. Dans la note qui terminera cet article, nous décrirons une mé-
daille dont le type principal est presque semblable à ce médaillon.
DOS ee
54. Dans un cercle ‘tressé, garni intérieurement de
demi-cercles, est un ange chevelu, aux ailes déployées,
vêtu d’une longue robe et d’un manteau, tenant un linge
sur lequel on voit une larme. Grande médaille frappée en
bractéate sur une feuille de cuivre, carrée et fort mince.
55. Grande et belle couronne royale, avec croix ; des-
sous, une larme sur un autel, au milieu de.deux chande-
liers avec cierges allumés, le tout dans un double enca-
drement octogone. À. Dans un encadrement semblable,
l'inscription suivante, ordonnée en sept lignes: QUE BENI
SOIT LA SE SACRE LARME DE I CRIS EN ALLOVIGNE.
(Qu'elle soit bénie la sainte et sacrée larme de Jésus-Christ,
à Allouagne). Gette intéressante pièce se compose de deux
minces feuilles de cuivre estampées, réunies ensuite
et découpées de manière à laisser la place d’un anneau.
56. Couronne royale, surmontée d’un petit globe avec
croix ; dessous, une larme tombant sur une pierre, ou
posée sur un autel ; elle est accostée de deux anges por-
tant des chandeliers avec cierges allumés. Cette médaille,
dont les deux côlés sont presque les mêmes, est de
forme octogone ; elle se compose de deux feuilles de
cuivre réunies au moven d'une soudure.
57. La sainte larme, dans un reliquaire en forme de
monstrance, porté par deux anges, agenouillés. À. Le
même reliquaire, mais plus grand. et sans les lenants.
Médaille losangée en plomb, avec encadrement tressé,
de chaque côté.
58. Sur un fond losangé, deux larmes, que sépare
l'inscription INRI, rappelant le Christ. À. Le Saint-Esprit.
+710 :—
Petite médaille de plomb, formant un carré long ; elle
est ornée, des deux côtés, d’un large encadrement.
09. LAZAR. Jésus à droile, ressuscitant Lazare qui se
soulève, les mains jointes. À. S: LARME LOVAIGNE. Le
reliquaire de la sainte larme d’Allouagne, qui affecte la
forme d’un ciboire. Cette médaille ovale, ayant un dou-
ble cercle de chaque côté, est formée de deux feuilles
d'argent qu'une soudure a réunies.
60. LA RÉSURRECTION DE LAZA"E. Le Christ à gau-
che, devant le tombeau de Lazare qui soulève la tête.
À. BÉNIE SOIT LA S'* LARME DE N. S. J. C. CONSER-
VÉE À ALLOUAGNE. Ange, dans une prairie, tenant à
droite un linge où est imprimée la sainte larme. Cette
médaille, s’il est possible de donner ce nom à un objet
si. bizarre, a été faite sur le modèle des larmes d'argent
et de cuivre qui se vendent à Vendôme ; il s’en trouve en
argent, en similor et en cuivre argenté !.
Les trois premières médailles, ainsi que les cinquième,
septième et neuvième, ont été publiées dans notre Numis-
matique béthunoise (pl. xv et p. 139).
4. Nous possédons encore deux autres médailles en plomb dela
sainte larme, qui nous proviennent des collections de MM. Quandalle
et Duleau. La première montre, d’un côté, une larme entre deux fleurs,
et de l’autre, un saint évêque bénissant ; la seconde offre au droit une
larme sur un espèce de chandelier, au milieu d'étoiles, et au revers,
la tête nimbée du Christ. Si nous ne comprenons pas ces pièces dans
notre Recueil, c’est que, par leur style, leur caractère et leur fabrique,
elles paraissent appartenir à l’Amiénois. Nous pensons qu'elles se
rapportent à la dévotion de Sélincourt.
IV
AMETTES
Midailles du bienljeureux Labre
Quelle magnificence et quelle majesté dans ces grandes
fêtes de 1860, commencées à Rome, continuées à Arras
et terminées dans le modeste village d’Amettes, pour
l’exaltalion d'un pauvre pélerin ! C’est que chacun vou-
lait, à l’envi, honorer la mémoire et célébrer la béatifica-
tion de celui qui fut, par excellence, le héros de la paur-
vreté, de la pénitence et de la contemplation.
Benoit-Joseph Labre naquitle 26 mars 1748, à Amettes,
paroisse qui dépendait autrefois du diocèse de Boulogne
et qui, depuis 1801, fait partie de celui d’Arras'. Ses
1. Les biographies de Labre sont nombreuses. Le travail le plus
important sur ce bienheureux est celui de M. Desnoyers; il a pour
titre: Le vénérable Benoît-Joseph Labre, célèbré pèlerin français.
Cet ouvrage, qui forme deux gros volumes in-8°, contient, à la
page 560 du tome second, une notice bibliographique sur le saint
pénitent. Nous ajoutons à cette liste les ouvrages et opuscules parus
depuis et surtout en 1860 : Compendio della vita e virtu del beato
pellegrino Bencdetto Giuseppe Labre., — Abrégé de la vie du bien-
heureux Benoit-Joseph Labre, pèlerin français, traduction de l’ou-
vrage précédent. — Ragguaglio della vita del beato Benedetto Giu-
_ 78 —
parents le confièrent de bonne heure à son oncle, curé
d'Érin, qui prit soin de son éducation et lui enseigna le
latin. Ce bienfaiteur étant mort, son éiève voulut se faire
religieux ; il se présenta, sans être admis, d'abord chez
des chartreux, puis chez des trappistes; enfin il fut reçu
comme novice, à l’âge de vingt-et-un ans, au couvent des
Sept-Fonts, mais il quitta ce monastère, huit mois après,
pour se vouer entièrement aux pèlerinages. Dès lors,
il visita les lieux saints les plus renommés de France,
d'Italie, d'Espagne, de Suisse et d'Allemagne ; enfin il se
fixa à Rome, passant toute la journée dans les églises,
surtout dans celle de Notre-Dame-des-Monts, prosterné
constamment au pied des sanctuaires. La charité, la prière
etles macérations furent l’unique occupation de l’humble
pauvre volontaire, qui rendit sa belle âme à son créateur,
le 16 avril 1783.
Au premier bruit de la mort du serviteur de Dieu, la
ville éternelle s'émeut toute entière ; partout on entend
ce cri: le saint est mort. Le corps, porté dans l’église de
Notre-Dame-des-Monts. est aussitôt entouré d’une foule
consternée, qui ne cesse de se renouveler et de grossir.
On s'agenouille avec respect devant la dépouille mortelle
de l'homme qu'hier on ne daignait pas honorer d’un
regard, et dont on proclame aujourd'hui les vertus
seppe Labre dato in luce nella solennità della sua beatificazione. —
Le bienheureux Benoît-Joseph Labre. — Vie du bienheureux B.-J.
Labre. — l'abbé Robitaille, Vie du bienheureux Benoît-Joseph La-
bre. — Mandements de Mgr Pierre-Louis Parisis, évêque d'Arras, de
Boulogne et de Suint-Omer, à l’occasion de la béatification de Benoit-
Joseph Labre. — Aubineau, Vie admirable du bienheureux mendiant
et pèlerin Benoit-Joseph Labre.
10
héroïques. Chacun veut toucher les restes du prédestiné,
en approche chapelets et médailles. Bientôt on se dispu-
tera la moindre parcelle des haillons de l’humble indi-
gent, dont il sera fait plus de quatre-vingt mille reliques
qui se répandront rapidement par toute l’Europe. L'image
du pèlerin français est reproduite de toutes manières, en
argent, en cuivre, en étain, en plomb et en cire, sur
toile, sur bois et sur porcelaine, mais ce sont surtout
les portraits gravés, soil en pied, soit en buste, qui ont
le plus de vogue, aussi s’en vend-il un nombre prodi-
gieux d'exemplaires".
Quand on considère une telle dévotion, quand on voit
tant d'objets de piété, bien propres à l’entretenir et à la
propager, on pourrait supposer qu'à la même époque, il
a existé à Rome, en France et ailleurs, un grand nombre
de médailles au type de l'humble serviteur de Dieu.
1. D’après M. Desnoyers, ouvrage cité, t. 11, p. 225 et 509, les
cuivres gravés à Rome, à l'effigie du bienheureux, s’élevèrent, en
quelques mois, à 85 ; en 1791, ils dépassaient de beaucoup la cen-
taine ; il en fut tiré 135,000 exemplaires. De plus, Capoue et
Fabriano éditèrent d’autres portraits du même personnage et en
vendirent une soixantaine de mille. Quel nombre obtiendrait-on
si l’on ajoutait tout ce qui a été exécuté, sur le même sujet, en
France et dans d’autres pays? Nous connaissons 86 portraits de
Benoît ; ils ont été gravés ou lithographiés, savoir : 25 à Rome,
58 à Paris, Arras, Douai, Lille, Avignon, Orléans et Epinal, 1 à
Gand et 2 à Munich. Sur 48, le pèlerin est en pied, debout ou à
genoux, à droite ou à gauche ; presque toujours il a la tête décou-
verte et les bras croisés ; il est vêtu d’un vieux manteau déchiré, à
la ceinture duquel pendent, à droite, un tricorne, et à gauche, une
écuelle. Les 38 autres, qui sont en buste, à droite ou à gauche,
représentent de même le bienheureux de l’Artois.
— 80 —
Pourtant. toutes nos recherches ne nous en ont fait
découvrir que trois différentes, et encore sont-elles d’ori-
gine française. Ceci laisserait croire qu'à Rome surtout,
il n'était pas d'usage, que peut-être il n’était pas permis,
de fabriquer des médailles religieuses de personnages
dont la béatification ou la canonisation. n'étaient pas
encore proclamées.
De nombreux prodiges s’opérèrent au tombeau de
Benoit, élevé dans l’église Notre-Dame-des-Monts ; des
fidèles et des pélerins de toutes les nations n’ont cessé
d'yaffluer, même dans les temps les plus agités. Le titre
de vénérable avait été décerné, dès 1783. au serviteur
de Dieu; sa béatification fut déclarée en 1860. Vers le
milieu de notre siècle, on frappait, à Saumur, une petite
médaille qui représente le saint pèlerin, marchant à
gauche, et s'appuyant sur un bâton, comme on le vit à la
fin de sa carrière, pièce qui lui donne, par anticipation,
le titre de bienheureux.
Mais ce fut en 1860 que la gloire de l’illusire pénitent
du xvani* siècle se manifesta dans tout son éclat, surtout
pendant les fêtes solennelles qui suivirent sa béatifica-
lion'. Qui ne se rappelle cette procession d'Arras, qui,
_ 4. Les principales publications sur ces fêtes sont les suivantes :
Programme des fêtes qui seront célébrées à Arras, les 15, 16 et 17
juillet 1860, à l’occasion de la béatification de Benoît-Joseph Labre
et de la translation d’une relique insigne du bienheureux. — Le
bienheureux B.-J. Labre et les fêtes d'Arras. — L'abbé Robitaille,
Comple-rendu des fêtes d'Arras et d’Amettes. — L'abbé Van Drival,
Récit des fêtes célébrées à Arras, les 15, 16 et 17 juillet 1860, à :
l’occasion de la béatification et de la réception d’une relique insi-
gne de B.-J. Labre. — Procession célébrée à Arras, le 15 juillet
1860, en l'honneur du bienheureux Benoît-Joseph Labre, magnifi-
que album colorié, édité en 1861 à Arras, par Brissy.
— 113 —
chiennes, Pecquencourt et Thiennes. FOHUe Bruges
et Courtrai*.
Mais revenons à notre sujet. Le cierge d’Arras fut
déposé d’abord dans l’église de Saint-Aubert ; la chapelle
de l’hôpital de Saint-Nicolas le reçut en 1109. En 1215, il
était solennellement porté dans l’élégante pyramide qui
lui avait été élevée, au milieu de la petite place, par
la pieuse Mahaut de Portugal, veuve de Philippe
d'Alsace, comte de Flandre, monument bien remar-
quable que l’athéisme et le vandalisme révolutionnaire
ont fait disparaître en 1791 *. Heureusement, après mille
dangers, la relique vénérable a échappé à cette furie
sacrilége. Il en fut de même de sa riche custode qu'avait
offerte Mahaut de Portugal, étui d'argent niellé, en
. 4. On connaît deux médailles de Notre-Dame des Ardents, de
Pecquencourt: nous avons donné la première dans notre Notice citée
ci-devant ; les coins de l’autre sont au Musée de Lille.
2 L'abbaye de Groninghe, de Courtrai, qui tenait en grande véné-
ration un cierge provenant de celui d'Arras, a fait frapper pour cette dé-
votion une médaille octogone, en cuivre soufflé, sur laquelle on voit,
d’un côté, la sainte Vierge, debout et couronnée, tenant à la main
droite un sceptre et portant l'Enfant Jésus sur le bras gauche.
Légende : N. Dame d Groenin. Le revers représente le saint cierge
allumé, dans un chandelier à base hexagone, entre deux anges céro-
féraires, agenouillés ; légende : La S. Chandel. Cette médaille, qui
fait partie du cabinet de M. Gentil, de Lille, a été décrite par M. de
Linas, à la page 70 de son ouvrage déjà cité.
* 8. Nous donnerons, sous le n° 114, une médaille dont le revers
représente cette belle pyramide de la Sainte-Chandelle. Ce n’est pas
la seule qui rappelle ce clocher gracieux et hardi, car il figure aussi
Sur un jeton frappé en 4597, pour les États d'Artois, pièce publiée
par M. Deschamps de Pas, dans sa Notice sur les Jetons d'Arlois.
8
— 114 —
forme de cône allongé, orné de figures, d’animaux
fantastiques, de guirlandes et d’arabesques.
On à vu combien le culte de la sainte chandelle, le
même que celui de Notre-Dame des Ardents ou du Joyel,
a été suivi à Arras. Longtemps il y donna lieu à des
pèlerinages nombreux qui ne cessèrent d’aitirer un
grand concours de fidèles ?. Il a fallu les mauvais jours
de la Terreur pour arrêter cette dévotion si populaire.
Il y a peu d'années, Mgr Lequette, évêque d'Arras,
voulant restaurer le culte presque oublié de Notre-
Dame des Ardents, décida qu’une église sous ce vocable
serait construite dans sa ville épiscopale, et que la
sainte relique y serait déposée dans sa custode. On se
mit à l’œuvre et bientôt s'éleva ce bel édifice, qui fut
1. Cette custode, qui contient encore des parties importantes du
cierge vénéré, à été conservée dans le Trésor de la cathédrale
d'Arras depuis le concordat jusqu’en 1876, année où elle fut déposée
solennellement en l’église de Notre-Dame des Ardents. Elle a été
décrite par M. de Linas, dans son ouvrage cité ci-devant.
2. M. Terninck donne de curieux détails sur ces pèlerinages dans
son ouvrage : Notre-Dame du Joyel, p. 34.
Suivant Dom Devienne, (Histoire d'Artois, 5° partie, p. 286),
Louis XIV, qui avait pieusement visité le saint cierge, en 1654,
après la levée du siége d'Arras, vint, trois ans après le vénérer de
nouveau avec la reine. Les maïeurs de Notre-Dame des Ardents,
prévenus de la visite, avaient fait fabriquer cinq agnus d’or, dans
lesquels ils avaient coulé des gouttes du saint cierge. Ils les offri-
rent à la reine et aux principales dames de sa suite. Certainement
ces agnus n'étaient autres que des médailles en forme de petits
reliquaires, du genre de celles que ce recueil renferme en assez
grand nombre. Nous ignorons ce que représentaient ces médailles,
mais il y a lieu de penser qu’elles étaient au type de l’une de celles
que nous décrirons dans ce chapitre. |
— 115 —
consacré dans le mois de mai 1876. A cette occasion
furent célébrées de magnifiques fêtes dont le souvenir
sera conservé par la description qu'en a donnée M. le
chanoine Van Drival, un des principaux organisateurs
de ces solennités'. Une foule immense accourut de
toutes parts pour assister à ces fêles et surtout à une
procession grandiose dont l'éclat était encore relevé par
la présence de plusieurs prélats*. Des médailles desti-
nées à raviver et à propager la dévotion à Notre-Dame
des Ardents, furent commandées par la commission
d'organisation à la maison Robineau, de Paris, qui en a
frappé 89,448 exemplaires.
Cette piété a été l’objet d’une suite intéressante de
médailles dont la plupart sont d'une grande rareté.
Nous en connaissons vingt-deux : une concerne Lille,
deux sont de Pecquencourt et une se rapporte à l’abbaye
de Groninghe, de Courtrai; nous donnons les dix-huit
autres à Arras. L'attribution de quelques-unes ne peut
laisser aucun doute, et comme les autres ne fournissent
aucune indication qui les rattache à d’autres localités,
nous les classons de préférence à la ville qui fut le siége
principal de cette piété. Notons d’abord que sur chaque
médaille le cierge est allumé, hormis sur celle qui porte
le n° 116.
4. Description des Fêtes du ?1 mai solennisées à Arras en
l'honneur de N.-D. des Ardents. — V. aussi le Programme de la
Procession. |
2. On a réimprimé, pour la procession, les guidons des anciennes
corporations de la ville ; il en a été fait ensuite un album de qua-
torze planches, commençant par celle de Notre-Dame des Ardents.
— 116 —
. 108. ....6..G.. MAN. la sainte Viérge, couronnée,
vêtue d’une robe et d’un manteau drapés avec goût,
_ tenant l’Enfant Jésus entre les bras. À sa gauche, un
hommé agenouillé lui présente un cierge. À sa droite,
un saint évêque portant mitre, chape et crosse. A la
droite du prélat, un grand lis dans un vase. Marie, son
Fils et le saint sont nimbés. Cette enseigne ronde,
autour de laquelle règne un cercle élevé, bordé de
grènetis, ést d’un beau style, d’un dessin correct et d'un
fini remarquable. Cet objet, en étain, trouvé à Arras,
remonte au milieu du xv° siècle. Il est malheureusement
incomplet; deux cassures ont enlevé la plus grande
partie de la légende, ce qui rend notre attribution assez
incertaine. | | | . |
‘ 109. La Vierge, portant son Fils sur le bras droit ; elle
est entre deux chandeliers avec cierges. Comme sur
d’autres médailles que nous décrirons ci-après, les deux
cierges ne sont pas placés uniquement pour la symétrie ;
ils ont une signification: ils indiquent soit les deux
‘saintes chandelles des confréries de Notre-Dame des
Ardents et des Petits Ardents, soit le cierge principal
‘et ceux qui en sont provenus. À. Évêque uimbé et crossé,
‘bénissant ; c’est très-probablement saint Vaast. Cette
‘petite imaige est placée dans un cœur avec encadrement
garni de cinq trèfles à l'extérieur et muni d’un grand
anneau. Cet objet de piété et les deux suivants sont en
‘plomb et apparliennent: au xvi° siècle.
110. Pièce plus petite, aux mêmes types: elle est
‘ronde et encadrée dans une cercle épais.
111. Variété plus correcte ; ici l'évêque est mitré.
— 117 —
+112. La Vierge, nimbée, vêtue d’un large manteau ;
elle tient le cierge à là main droite. Plaque de plomb,
du xvi* siècle, en forme de niche ; elle est encore garnie
de son anneau de suspension.
113. La Vierge avec l'Enfant Jésus sur le bras droit :
elle est entre deux cierges mis dans de petits chandeliers
affectant la forme d’un sablier. Les lettres S GC (Sainte
Chandelle) occupent les deux côtés laissés libres. À. Cha-
pelle à deux fenêtres, avec clocheton et croix ; dans Île
champ, quatre étoiles. Plomb rond de la premiére
moitié du xvrre siècle. | :
. 114. La Vierge, couronnée, tenant le cierge à la main
droite, descend, entourée de nuages, vers l'évêque
Lambert et les deux ménestrels près desquels sont
deux violes et un archet. À. N : D - DES ARDANS. Repré-
sentation assez lourde de la belle pyramide de la
Sainte-Chandelle ; au bas, deux rosaces. Grande médaille
octogone en argent, du xvrr° siècle.
115. N D S C DEL (Notre Dame de la Sainte ChanDELIe).
La Vierge, dont la tête, couronnée, est entourée d’une
auréole lumineuse ; elle est posée sur des nuages et
tient le cierge à la main gauche. À. N D S CHANDEL.
Le cierge, placé au milieu d'un parquel à carreaux.
Médaille ovale du xvn° siécle, frappée sur deux feuilles
d'argent en losange ; entre l’ovale et les bords se
trouvent le cercle de l’anneau et trois globules.
116. Dans un encadrement losangé, orné extérieure-
ment de quatre fleurs de lis, est un double cercle ovale
renfermant, d'un côté, le cierge entre les initiales S C,
et de l’autre, les lettres THS,. monogramme ordinaire
— 118 —
_ du Ghrist, avec la croix et lès clous. Pélite méfäille
d’argént, frappée vers le milieu du xvrr° siècle.
117. La Vierge, tenant un scéptré à la main droite,
et portant l'Enfant Jésus sur le bras gauche, Puñ èt
l’autre ayant la tête eritourée d’une auréole rayôn-
nante. À. La sainte chandelle mise dans un chandeliér
élevé, entre deux anges agerouillés, qui présentent dès
palmes. Vis-à-vis du pied du chandelier sont les lettres
SGGN (Sainte-Chandelie, Gardez Nous). Jolie médaille
octogone, eù argent, du xvi* siécle, bien différente de
de toutes les autres par le faire et le stylé.
118. La Vierge, couronhée et nimbée, ayant sur le bras
droit l'Enfant Jésus, aussi nimbé ?; elle se tient dans uh
tercle orné de deux fleurs. De chaque côté, un chan-
délier avec tierge. Cette médaille uniface, bordée d'un
grènetis cordonné, a été frappéé dans la seconde moitié
du xvii° siècle, sur une légère feuillé de éuivre jauñe.
119. N - D-DES ARDANS. Là Vièrge, éouronnéeé, teriañt
le cierge à l4 maih droite, et portant sur le bras gauthe
l'Enfant Jésus avéc le globe terréstre. À. LAS. CHAN-
DELLE. Le saint cierge dans sa custode. De chaque
côté, üun bnge ägeñouillé portant un chandelier avec
cierge. Cette médaille du xvrr° siècle est de forme octo-
gôtie ; elle Se compose de deux lames de cuivre jaune,
estampéès séparément, puis réunies par une soudure.
120. SAINTE CHANDELE. La Viergé, entourée de
rayons dans un ovale formé de nuages, apparaît à
l'évêque et dux ménestrels, tous trois à genoux; elle
tient lé cierge à la main droite. À. GALVAIRE D'ARRAS.
‘Type le plus ordinaire de c6 talvaire, reproduit ci-dévant
— 119 —
au n° 93. Belle médaille en plomb et étain, du milieu
du xvin° siécle.
121. S - CHANDELLE D ARRAS. On voit dans un double
encadrement le cierge placé sur un socle. Exergue :
1757. À. CALVAIRE D'ARRAS. Même type que celui du
n° précédent, mais la porte est plus haute et mieux des-
sinée. Médaille octogone en alliage de plomb et d’étain.
122. Intérieur d'église, dont la voûte est à comparti-
ments étoilés ; à l'entrée, la sainte chandelle posée sur
un large pied de chandelier. Exergue : LA S-CHANDELLE.
Médaille octogone sans revers, estampée sur une mince
feuille de cuivre rouge, qui parait être de la seconde
moitié du siècle dernier.
Les trois médailles suivantes sont celles qui ont été
frappées pour être distribuées et vendues lors de la
procession solennelle du 21 mai 1876; il s'en trouve
en vermeil, en argent et en bronze.
193. NOTRE DAME DES ARDENTS P. P. N. Dans un
encadrement formé d’arcatures, la Vierge apparaît sur
un nuage ; elle se présente avec le cierge en main, à
l'évêque et aux ménestrels, tous trois agenouillés. Le
mot CEREVM qu'on lit plus bas donne en chronogramme
le millésime 1105, année de l'apparition, qu’on retrouve
sur le nuage. À. Dans un encadrement semblable, un
calvaire dont les extrémités sont trifoliées ; il est placé
sur une porte cintrée au-dessus de laquelle est cette
inscription : GALVAIRE D’ARRAS.
124. Même médaille réduite aux deux tiers
125. Autre plus petite, aux mêmes types, mais sans les
encadrements; on y a supprimé la porte et le mot cereum.
— 120 —
Les n°* 119 et 120 ont été décrits par M. Rouyer dans
L'Écho de la Lys, en 1849 ; les mêmes n°° et les n° 113
et 114 ont été publiés dans notre Notice sur les Médailles
de la sainte chandelle; enfin le n° 110 figure à la planche
iv de notre Essai sur la Numismatique de l'Abbaye de
Saint- Vaast ‘.
Medailles de saint Marcou
Ce saint, connu aussi sous les noms de Marcoul,
Marculfe et Maclou, missionnaire, puis abbé de Nanteuil
vers le milieu du vi siècle, était particulièrement
honoré à Corbeny près de Laon, où se trouvait son
tombeau *. Il fut aussi vénéré dans beaucoup d’autres
lieux”; on l’invoquait contre les écrouelles. Les rois de
France passaient pour avoir obtenu de lui le don de
guérir les scrofuleux. |
Une église d'Arras, construite dans le x1° siècle, était
4. C’est par erreur que, dans notre opuscule sur les médailles de
la sainte chandelle (pl. 1, n° 5), nous avons attribué à cette dévo-
tion une médaille qui représente, d’un côté, la sainte Vierge abritant
des pèlerins sous son manteau, et, de l’autre, saint Nicolas avec les
trois enfants. Elle appartient aux pèlerinages renommés de Notre-
Dame de Bon-Secours, de Nancy, et de saint Nicolas, de Saint-
Nicolas du Port. |
Nous possédons un petit méreau de plomb, qui se rapporte à l’une
des confréries de Notre-Dame des Ardents, établies à Arras.
2. Blat, Histoire du pèlerinage de saint Marcoul à Corbeny.
3. Notamment à Valenciennes, en l’église paroissiale de Sainte-
Elisabeth, et particulièrement à l’abbaye de Cysoing, où des reli-
ques notables du saint étaient l’objet d’un pèlerinage célèbre. (V. La
vie de S. Marcoul, imprimée chez de Rache, en 1640).
— 191 —
sous l'invocation de saint Martou. Plus tard, elle prit
le nom de Sainte-Croix, mais la fête de l'illustre abbé
n'y fut pas moins célébrée solennellement jusqu’à la
Révolution. Une confrérie en l'honneur du même saint
avait aussi été instituée en l’église de Saint-Géry d'Arras.
La dévotion à saint Marcou était donc assez populaire
en cette ville ; c'était du reste le seul lieu du diocèse où
il fût honoré d’un culte particulier et suivi.
Il existe des médailles de saint Marcou, qui le repré-
sentent en religieux, tourné à droite ou à gauche,
tenant sa crosse inclinée et approchant la main de la
figure d'un suppliant agenouillé, et qui offrent au
revers la statue de Notre-Dame de Liesse. Bien qu'on uit
trouvé souvent de ces médailles à Arras et dans les
environs de celte ville, nous croyons prudent de les
laisser au Laonnaïs, où on les a rencontrées plus fré-
quemment. MM. Duployé les attribuent au pèlerinage
de Notre-Dame de Liesse*.
Nous donnons à la dévotion d'Arras sept médailles
de saint Marcou. Les trois premières prouvent leur
origine par leur caractère arlésien et par les sujets
qu'elles représentent. Les quatrième et sixième n'ont
pas besoin d'explication. La cinquième appartient à
Arras, non-seulement par son type, son style et sa
facture, mais encore par le revers, offrant le buste de
saint Liévin. Quant à la dernière, au buste du saint
4. Notre-Dame de Liesse, t. 1, p. 58 et 59, t. u. p. 344.
2. A l’article de Merck-Saint-Liévin, nous parlerons de ce célèbre
apôtre de l’Artois et de la Flandre ; nous ne dirons donc ici que
quelques mots de son culte à Arras. L'église de Sainte-Croix, la
— 122 —
abbé, mitré, dont le revers rappelle la vision de saint
Hubert, type si souvent employé pour les médailles
religieuses d'Arras, elle doit être considérée comme se
rapportant à cette ville, tant par ses types que par son
apparence locale.
126. Plaque carrée dé cuivre rouge en bractéate. Dans
un estadrement de deux lignes de grènetis, dont les
angles sont ornés de fleurs se trouve un doublé cercle
avec anneau. Au centre, saint Marcou, nimbé, tourné à
droite, tenant une crosse; devant lui un suppliant à
genoux. Enseigne du xvi* siècle. °
Les deux numéros ci-après, qui sont de forme ronde,
en élain, paraissent un peu moins anciens.
127. Petite médaille uniface, mise dans un encadre-
ment ; elle représente le saint, nimbé, posant la main
droite sur un enfant, el tenant sa crosse de l’autre.
128. Autre médaille encore plus petite, placée dans
un encadrement entouré extérieurement d’un anneau
_et de sept globules. On y voit le saint, tenant sa crosse
de la main droite et un petit buste dans l’autre. Le
revers montre un cavalier trottant à droite : c'est saint
Menne, dont nous aurons l’occasion de parler, à l’article
d’Écoust-Saint-Mein.
même où était vénéré saint Marcou, honorait aussi saint Liévin
d’une manière particulière ; la confrérie de ce nom, qui s’y était
établie, prit une grande importance dans le xvine siècle. Ainsi s’ex-
plique la présente du buste de ce saint sur une de nos médaillle de
saint Marcou, d'Arras. La confrérie a été rétablie en l’église de Saint-
Géry, le 5 juillet 1804. (V. Statuts et Règlements de la Confrérie
de saint Liévin. Arras, Brissy, 1849).
— 193 —
‘ 429 . S : MARCOVL. Saint Marcou, dont la têté est
éntouréé d’ün cercle lumineux, est légèrement tourné
à gauche ; il est vêtu en moine et tient sa crosse iñclinée.
! approche sa rain droite d'un suppliant, à genoux
devant lui. À. CALVERE DARAS. Le calvaire, fort bas et
tourné vers l4 gauche. Il est à remañquer que l'on a
émpioyé pour te côté un coin plus pelit que celui du
droit. Cette médaille et la suivante sont en éuivre.
130. - S - MARCO. Dans un double encadrement octo-
gone, le même saiñt finhé, tenañl sà crosse à la main
gauche, va imposer l’autre main sur un roi agenouillé.
inuni d'un bâton de pélerin. À. S LIEVIN. Buste à gauche
de saint Liévin, mitré ; le martyr tiént à la main droite
üné lenäillé âu bout de laquelle est sa langue arrachée,
ét à l’autré, üné croix à longue hampe et à double croi-
sillôn. Cette fnédaille est composée de deux lames de
tétal, frappées séparément et réuhiés par une soudure ;
ellé appartient bien à l'Artois par son style, sa fabrique
ét lé sujet du révers.
131. $* MARCOUL PRIEZ P. N. Dans une bordure en
grénetis perlé, le saint abbé, vêtu d’un rochet à manches
larges, avec croix peclorale, sur la tête duquel plane
un nimbe. Il touche de la main droite le cou d’un
suppliant à genoux et tient de l'autre main sa crosse
inclinée. À. Dans un même encadrement l'inscription
suivante en quatre lignes: CONFRERIE DE $ : MARCOUL
A S'GERY D’ARRAS. Cette médaille d’étain est d'une
très-belle exécution ; elle paraîl être du même graveur
que la première de celles aux types du calvaire d'Arras
et de Notre-Dame de Bon-Secours. C'élait un objet de
dévotion en mème temps qu’une médaille de confrérie.
— 124 —
1432. S. MARCOV. Le saint, mitré, en buste tourné à
gauche ; il tient sa crosse à la senestre. À. Saint Hubert
à gauche ; il prie devant le cerf crucifère. Au-dessus,
un ange qui lui apporte l’étole. A l’exergue : S HUBERT
P P N. Cette pièce se trouve en plomb et en étain.
Le n° 129 est du xvnre siècle; le suivant, du commen-
cement du xvirr siècle; les deux derniers sont de la
seconde moitié du même siècle.
Médailles de saint Daast
Saint Vaast, l’apôtre de l’Atrébatie, le patron du
diocèse d'Arras, doit avoir sa place dans notre petite
galerie métallique. Nous n'avons pas à rappeler ici la
vie, bien connue d’ailleurs, de cet illustre évêque
d'Arras, qui, après avoir pris une part glorieuse à la
conversion de Clovis et des Francs, évangélisa, pendant
quarante ans, notre contrée retombée dans l'idolâtrie.
La grande renommée de Vaast ou Védaste, les miracles
qui lui ont été attribués, et la profonde vénération qu'il
a toujours inspirée, l'ont fait choisir pour patron d’un
grand nombre de lieux des divcèses d'Arras et de
Cambrai. C'est ainsi que tant d’églises et de chapelles
ont été placées sous son invocation.
La célèbre abbaye d'Arras, qui portait le nom de
l'auguste pasteur, avait été érigée en son honneur, l'an
667 ; elle renfermait son tombeau et la plus grande
partie de ses ossements. En 880, l'approche des Nor-
mands avait forcé les religieux à transporter à Beauvais
ces précieuses reliques, déposées dans une châsse ;
treize ans après, elles étaient rapportées par eux avec la
— 195 —
‘plus.grande solennité. Depuis lors jusqu’à la Révolution,
ces restes ont été révérés dans le monastère même, où
la dévotion populaire les avait en grande vénération ;
. ils étaient l’objet d’un pèlerinage : les mères y ame-
naient leurs enfants malades pour obtenir leur guérison
par les mérites de saint Vaast!. | |
. Comme ce saint a toujours été le plus illustre de la
contrée, un des plus populaires et des. nlus vénérés
d'Arras, son culte devait être en cette ville l’objet de
médailles spéciales. a
À l’article de la sainte chandelle, nous avons décrit,
sous les n° 109, 110 et 111, trois petites médailles du
xvr° siècle, d’origine artésienne et aux mêmes types, où
l'on voit, d’un côté, la Vierge entre deux chandeliers
avec cierges et, de l’autre, le buste d’un saint évêque
bénissant, et tenant une crosse. Comme nous supposons
que cet évêque est saint Vaast, nous pensons que ces
pièces concernent aussi bien son pélerinage, que celui
de Notre-Dame des Ardents d'Arras. Si nous les avons
placées de préférence à cette derniére dévotion, c'est
qu’elle a toujours été plus suivie que l’autre.
Nous n’aurons plus à parler ici que de quatre
médailles ; les deux premières sont du xvrr° siècle, et les
deux autres sont de la seconde moitié du siècle dernier.
| 133. Saint Vaast, mitré et crossé, tenant sur la main
droite un modéle d'église ; à dextre, on voit debout
4. Les reliques de l’apôtre principal de l’Artois sont conservées
-dans le Trésor de la cathédrale d'Arras, (Lire le chapitre qui leur
‘est consacré, dans le savant ouvrage de M. l’abbé Van Drival : Le
Trésor sacré de la cuthédrale d'Arras).
— 196 —
l'ours caractéristique, À. Châsse du saint, Cetla médaille
et la suivante se composent de deux mimees feuilles
d'argent estampées et réunies ensuite,
134. Le droit offre en petit le même sujet, mais sans .
le symbole traditionnel‘. À. Buste à droite de saint
Benoît que caractérisent l'auréole, le capuchon et la
mitre placée devant lui*. Or on sait que l’abbaye d’Arras
suivait l'ordre de saint Benoît.
135. S- VAST.P.N:. Saint Vaast, tourné un peu à
gauche, mais regardant de face ; il porte mitre et large
manteau, et tient sa crosse à la main droite ; à gauche,
ornement en forme de console. À.S *: LEV-P N. Saint
Loup ou Leu, archevêque de Sens, portant mitre, chape
et crosse ; derrière lui passe la tête d'un loup, à côté
d'une fleur à haute tige. Cette médaille est, ainsi que la
suivante, moulée en plomb et en étain, ou en alliage de
ces deux métaux ; elle se rencontre souvent, non-seule-
ment à Arras, mais dans la région, ce qui laisse supposer
qu'elle se vendait en divers lieux de dévotion. Citons,
entre autres localités, Chéreng, village des environs
de Lille, où saint Loup est depuis longtemps l'objet
d'une cevonen particulière ?.
À. On remarquera que l'ours, qui accompagne souvent saint Vaast
sur les monuments, ne figure pas toujours sur les méreaux.
,2. C’est bien le type-ordinaire des nombreuses médailles de saint
Benoît.
8. Le moule de cette médaille, retouché et refait au commence-
ment de ce siècle, était encore, il y a vingt-dinq ans, a possession
de M. Rudot, potier d’étain à Lille, qui a coulé une grande quañ-
tité d'exemplaires de cette médaille, surtout pour la fabrique de
l’église de Chéreng.
nd
— 197 —
136. 5° VAST “P-N*.Saint Vaast, représenté comme sur
la médaille précédente, mais mieux orné et mieux gravé;
l'ours figure debout à sa droite. Même revers retouché.
Notre Essai sur la numismatique de l’abbaye de Saint-
Vaast a déjà fait connaître les n° 110, 134 et 135.
Il nous reste à parler dans ce chapitre de quelques
médaillés qui semblent s’y rattacher, mais que nous ne
comprenons pas dans nos planches, soit qu'elles ne puis-
sent être attribuées exclusivement à Arras, soit qu’elles
ne rentrent pas dans la classe des médailles de piété.
Médailles de la sainte face
Suivant la légende, une femme de Jérusalem s'étant
approchée du Sauveur succombant sous la croix, aurait
essuyé son visage ensanglanté avec un linge qui en
aurait conservé miraculeusement l'empreinte, et cette
relique serait parvenue jusqu'à nous. On sait qu’une
image de l'Homme-Dieu est, sous le nom de la sainte
face, honorée depuis longtemps à Rome, dans la basilique
de Saint-Jean de Latran. Une ancienne copie de cette
sainte face était, avant la Révolution, très-révérée au
monastère de Montreuil-sous-Laon. La plupart des pèle-
rins se rendant à Notre-Dame de Liesse, ne manquaient
pas de s'arrêter à ce couvent, qui se trouvait sur leur
chemin, pour y honorer la figure du Christ. C’est pour
cette raison que presque toutes médailles du xvrn° siècle
représentant Notre-Dame de Liesse offrent la sainte
face‘au revers'. Sans doute des Artésiens entreprirent
4. Duployé, ouvrage cité, t. 11, p. 355.
— 128 —
maintes fois ces pélerinages, quoiqu'ils en fussent assez
éloignés, et ils en rapporlèrent des médailles ; mais on
ne peut pas supposer que ces pélerins aient été fort
nombreux. Cependant les médailles aux Lypes réunis de
la sainte face et de Notre-Dame de Liesse, dont nous
possédons trente variétés recueillies à Arras et dans les
environs s’y rencontrent fréquemment. On doit donc ad-
mettre qu’elles se sont vendues en grande quantité dans
celte ville, soit qu’elles y aient été fabriquées, soit qu’ellés
fussent importées de Laon ou de Paris. Toutefois, comme
cette origine artésienne n’est pas suffisamment établie,
nous ne comprendrons aucune de ces médailles dans nos
planches ; il nous suffira d'en placer ici trois, frappées
en argent et en cuivre, vers le milieu du siécle dernier".
* 4. Il convient de remarquer que le culte de la sainte face, qui est
tout oriental, s’est propagé dans notre contrée ; aussi voit-on ce type
reproduit sur des médailles de saint Druon, de Carvin: de Notre-
— 1299 —
Médailles du Saint-Sacrement.
Le diocèse d'Arras s’est toujours distingué dans la dé-
volion au Saint-Sacrement. Parmi ses évêques les plus
zélés pour la pratique et la propagation de ce culte, nous
citerons François Richardot, dont les sermons sur ce
sujet ont été si répandus dans la seconde moitié du xvr°
siècle ‘, et Gui de Sève, qui, au commencement du sui-
vant, établit l’adoration perpétuelle du Saint-Sacrement*.
On doit donc supposer que dans ce diocèse, et à Arras
surtout, une telle piété a donné lieu à des médailles
spéciales. Aussi, pensons-nous pouvoir attribuer à cette
ville une petite médaille de plomb qui y a été trouvée,
et qui porte, d’un côté, les lettres SS, initialës de Saint-
Sacrement, et de l’autre, le monogra:. me du Christ avec
la croix et les clous. Ce qui corrobore notre attribution, .
c’est le rapport typique existant entre cette pièce et celle
Dame de Grâce, de Cambrai; de saint Liévin, de Merck-saint-
Liévin et de Notre-Dame du Bois, de Tilloy-les-Mofflaines. Ajoutons
qu’un livret sur la Dévolion au Calvaire d'Arras, contient des lita-
nies de la sainte face et une oraison pour l’honorer.
Quant à la dévotion à Notre-Dame de Liesse, nous avons dit pré-
cédemment combien elle était générale en Artois et surtout à Arras ;
aussi trouve-t-on le type de ce culte sur plusieurs médailles de cette
ville. |
1. Quatre sermons du Sacrement de l'autel, faicts et prononcez
publicquement à Arras, par Messire Françoys Richardot, evesque
dudict lieu.
2. Mandement de Mgr l’Evèque d'Arras, 1701. — L'adoration
perpétuelle du Très-Suint-Sucrement de l'autel, établie dans tout le
diocèse d'Arras, 1701.
— 130 —
de la sainte chandelle, décrite sous le n° 116. Voici cette
médaille, que nous préférons placer ici.
Dans la première moitié du siècle dernier, il se vendait
à Arras, des médailles du Saint-Sacrement, frappées en
argent et en cuivre, qu'on retrouve souvent dans cette
ville et dans les environs. Elles représentent, d’un côté,
un ostensoir entre deux lampes, et de l’autre, soit Notre-
Dame de Liesse, soit la sainte face. Mais comme on a
recueilli dans le Laonnaïis beaucoup de médailles à ces
types, il est bon de s’en tenir à une simple mention.
Ce n’est pas trop nous éloigner de notre sujet que de
rappeler les médailles frappées pour l'inauguration de
l'église du Saïnt-Sacrement d'Arras. Des religieuses de la
‘congrégation de l’adoration perpétuelle, ou bénédictines
du Saint-Sacrement, appelées en 1815 dans le Pas-de-
Calais, avaient formé à Arras un pensionnat de jeunes
personnes ; elles s’établirent ensuite dans l’ancien cou-
vent des trinitaires de cette ville. En 1842 fut commencée
la nouvelle église du monastère, début et chef-d'œuvre
de Grigny, l’éminent architecte, le restaurateur de l'art
chrétien dans le nord de la France. Ce gracieux édifice,
élevé dans le style de l’architecture fleurie du xv° siècle,
fut inauguré, le 5 août 1846, par le cardinal-évêque
d'Arras". À cetle occasion, la communauté fit distribuer
1. V. Archives historiques et littéraires du nord de la France et du
midi de la Belgique, (article de M. Grandguillaume), 3° série, t. 1,
p. 257. — À. d’Héricourt et Godin, Les Rues d'Arras, t. 1, p. 134.
— 131 —
à ses élèves et aux assistants de belles médailles frappées
en argent et en cuivre, par la maison Vachette, de Paris.
La première légende porte : * L'ÉGLISE DES BÉNÉDIC-
TINES DU S SACREMENT D’ARRAS, légende supérieure, en
deux lignes. Vue extérieure du monument, prise du
côté du portail. À l’exergue: 5 aourT 1846, date de la
bénédiction. À. LOUÉ ET ADORÉ SOIT LE TRÈS-ST SACREMENT.
Riche ostensoir, de forme moderne, dont le pied avec
l’'Agneau est soutenu par des nuages. Au bas est le nom
du fabricant. Cette médaille ovale a 39 millim. Il en
existe une variété. On trouve aussi la même médaille,
réduite à 23 millim.., et présentant de légères différences ;
ici, devant l’église, on remarque plusieurs personnes; au
revers, la date répétée de la bénédiction remplace le
nom du fabricant *.
En terminant ce chapitre, nous devons rappeler que
les médailles dont il se compose ne sont pas les seules
qui aient été vendues aux pèlerinages d'Arras. Si nous
n’y avons pas décrit celles du bienheureux Benoît Labre,
c’est qu'elles devaient être mieux placées à Amettes,
lieu de sa naissance et de son principal pèlerinage.
4. Vers le milieu de ce siècle, les dames bénédictines ont fait
frapper en argent et en bronze une belle médaille ovale que portent
leurs élèves quand elles sont reçues Enfants de Marie. La sainte
Vierge y est figurée nimbée, assise sur des nuages, ayant sur sa poi-
trine un cœur rayonnant. L'Enfant Jésus, dont la tête est entourée
d’une auréole lumineuse,se tient debout sur le genou droit de sa
Mère. Dans un nuage, à droite, se lit le nom du graveur Roquelay.
À. * ASSOCIATION DES ENFANTS DE MARIE. * MAISON DU Sr SACREMENT.
Cette légende est encadrée dans un double cercle et dans un léger
grènetis. Le centre est laissé lisse pour la gravure du nom de l'élève.
VII
AUCHY-LEZ-LA BASSÉE
fMedailles de sainte Apolline
Feaucoup de villages de nos contrées ont mis une
grande confiance en un saint, souvent leur patron, qu'ils
invoquaient avec ferveur. Il arriva fréquemment que ce
culte s’étendit aux alentours ; de là des dévotions popu-
laires et des pélerinages.
La sainte qui a été honorée particulièrement à Auchy-
lez-La Bassée, village à l'extrême limite de l’Artois et
de la Flandre, s’appelle Apolline ou mieux Apollonie ;
elle y était invoquée contre les maux de dents. L’hagio-
graphie nous apprend que cette vierge souffrit le martyre
vers le milieu du 11° siècle, préférant une mort cruelle
à l'apostasie. L’on sait qu'avant de se jeter dans les
flammes, la sainte avait eu les dents cassées avec des
cailloux ; c’est pour cette cause qu'elle est ordinaire-
ment représentée tenant une tenaille au bout de laquelle
est une dent.
Il n'est pas probable que le pèlerinage d’Auchy ait
jamais été bien important ; de nos jours, c’est à peine si
quelques personnes viennent de temps à autre invoquer
la sainte devant sa statue.
Un renseignement précieux, extrait des:archives com-
— 133 —
munales d'Haisnes, nous apprend qu’en 1676, ôn frap-
pait encore, à Auchy-lez-La Bassée, sept douzaines de
médailles à l’image de sainte Apolline‘. C’est ce qui
nous permet d'attribuer à la dévotion de ce dernier lieu
les deux médailles de cuivre décrites ci-après :
137. S - APOLLONE. Sainte Apolline tenant à la main
droile une tenaille qui serre une dent. À. S - FIACRE.
Buste à gauche de ce saint, auprès duquel est une bêche,
son altribut ordinaire.
138. S. APOL. La vierge martyre, représentée comme
au numéro précédent. À. Le Christ en croix entre sa
Mère et saint Jean l’évangéliste. Collection de M. Rigaux.
s»
PIS —
VIII
BÉTHUNE
Cette ville parait avoir eu, au commencement du
xvi‘ siècle, des enseignes de pêlerinage ou de dévotion.
Dans l'inventaire du mobilier de sa halle échevinale,
dressé en 1511, sont décrits deux chapelets ornés, le’
premier, de cinq enseignes de vermeil, le second, de
cinq autres de cuivre doré *.On doit supposer que, dans
ce nombre, il s’en trouvait concernant quelque culte de
4. Communication de feu M. Legrand, de Béthune.
2. À. de la Fons. Les Artistes du nord de la France... p. 117.
la localité. Ce qui fortifie cetie conjecture, c’est que la
ville comptait alors sept orfèvres', et il est naturel de
penser que ces artisans fabriquaient aussi de ces objets
de piété, dont la vente était si facile et si lucrative.
Comme aucune enseigne béthunoise n’est parvenue
jusqu'à nous, nous n'avons à nous occuper, dans ce cha-
pitre, que de médailles moins anciennes, et encore sont-
elles en bien petit nombre. Elles regardent : 1° le pèle-
rinage à Notre-Dame de Bon-Secours, 4° la dévotion à
saint Eloi, 3° le pélerinage à Notre-Dame du Perrovy,
4° la dévotion à sainte Wilgeforte. C’est dans cet ordre
que nous allons les présenter.
e
_Medailles de Notre-Dame de Gon-GSrcours
L'église des jésuites de Béthune avait été, au commen-
cement du siècle dernier, terminée el ornée avec magni-
ficence par de hauls personnages. On y remarquait une
riche chapelle, qui avait été élevée en l'honneur de
Notre-Dame de Bon-Secours, et sur l’aulel de laquelle
était exposée une image miraculeuse.
: Ce sanctuaire était un lieu de pèlerinage fort fréquenté
par les fidèles, qui venaient y implorer la Vierge Marie
dans toutes les afflictions, mais surtout pour la guérison
des maladiesgraves *. On doit supposer qu’au xvrir' siècle,
époque où le pélerinage fut le plus florissant, des mé-
1. À. de la Fons, ouvrage cité, p. 117.
2. Le père Ignace, Mémoires du Diocèse d'Arras, t. 111, p. 415.
Nous ne trouvons pour l’Artois que ce pèlerinage à Notre-Dame de
Bon-Secours.
— 135 —
dailles de Notre-Dame de Bon-Secours élaient vendues,
à la porte de l’église, pendant les jours spécialement
consacrés à ce culte. Avaient-elles été failes pour la dé-
votion béthunoise? Il y a sans doute une dislinction à
établir. Nous laissons au Hainaut belge toutes les mé-
dailles d'argent et de cuivre représentant, au droit, la célè-
bre madone de Péruwelz, et au revers, la Sainte-Famille,
quoiqu'il en ait été trouvé certain nombre à Béthune et
aux environs ; ces pièces n’élaient probablement que
des souvenirs du grand pélerinage. Mais il en est d’au-
tres qui sont certainement d’origine artésienne ; elles
représentent, d'un côté, le calvaire d’Arras, et de l’autre
une statue de Notre-Dame de Bon-Secours. Ces médail-
les, qui sont d’élain, et dont nous connaissons deux
variétés, ont été frappées, vers le milieu du xvin° siècle,
pour être débitées tant au pélerinage d'Arras qu'à celui
de Béthune. Comme elles ont été décrites et figurées,
sous les n° 91 et 92, à l’article de la première de ces
villes, nous y renvoyons le lecteur.
D. d
-
Médailles de saint Eloi
Ce grand saint du vri‘ siècle, qui d’orfèvre devint mo-
nétaire, puis ministre, et fut évêque de Noyon et de
Tournai, a élé honoré par diverses villes du nord de la
France et du midi de la Belgique, comme l’un de leurs
plus chers apôtres. Il est le patron de Béthune, et ce n'est
pas sans raison. La légende rapporte qu'en 1188, une
terrible épidémie continuait de régner sur cette ville;
que saint Eloi était apparu alors à deux maréchaux des
environs, Germond, de Saint-Pry, et Gautier, de Beuvry;
— 136 —
qu'il leur avait recommandé de former une association à
l’effet de soigner les malades et d’inhumer les morts.
_ Dés le lendemain, on instituait à Béthune la confrérie des
Charitables de Saint-Éloi et, peu de jours après, le fléau
s’éloignait de la ville.
Cette ancienne association qui, de tout temps, a rendu
de grands services, existe encore dans toute sa vigueur.
Elle se compose d’un doyen, d’un prévôt, de quatorze
maïeurs et de seize confrères, tous choisis dans la ville ;
elle a ses statuts, ses règlements, ses usages et ses fêtes.
Encore aujourd’hui les Charitables sont tenus d'assister
en costume aux funérailles de lous les défunts, de les
porter eux-mêmes au lieu de repos et de les inhumer*.
Nous attribuons à la piété des habitants de Béthune
envers saint Éloi une petite plaque octogone frappée au
xviri® siècle, sur une mince feuille de cuivre jaune;
cette médaille, considérée comme étant d’origine béthu-
noise, sera reproduite sous le n° 139 *.
4. Antoine Delions, Histoire de l’institution, règles, exercices ct
privilèges de l’ancienne et miraculeuse Confrérie des Charitables de
Saint-Éloy, apôtre des Pays-Bas, évêque de Tournai et de Noyon,
patron tutélaire de Béthune ct de Beuvry. Ce petit livre, édité pour
la première fois en 1648, était arrivé, en 1753, à la quinzième édition.
— Manuel de la Confrérie de Saint-Éloi, établie en l’église pa-
roissiale de Saint-Martin à Bouvry, au diocèse d’Arras.
2. Un cartulaire de la confrérie béthunoise repose aux Archives du
Pas-de-Calais.
‘8. Un grand médaillon ovale, en argent, ciselé avec soin, était porté
en sautoir par le prévôt dans les cérémonies. Cette plaque. du xvirre
siècle, représente saint Éloi, mitré, tenant un grand marteau à la
main droite, et de l’autre, sa crosse épiscopale. C’est ainsi que le saint
est figuré sur ses gravures et images du pays, notamment sur l’image
—— 137 —
Les Béthunois ont toujours eu recours au même pro-
tecteur céleste dans les temps de peste et d’épidémie,
aussi l’invoquèrent-ils particulièrement quand, en 1832,
le choléra fit invasion dans leur ville. Ce fut pour rendre
cette dévotion plus vive et plus durable qu'un véné-
rable prêtre, né à Béthune, M. Flajolet, principal du
collége de Mouscron, fit frapper par la maison Pamera-
Dechevany, de Lyon, la médaille de cuivre décrite ci-après
sous le n° 140, qui se répandit bien vite dans le pays.
Lorsque le fléau meurtrier reparut en 1849, une autre
médaille de cuivre fui frappée par la même maison, sur
la commande de M. Outrebon, négociant à Béthune, qui
en vendit alors un grand nombre d'exemplaires. Celte
pièce diffère peu de la précédente, comme on le verra par
sa description présentée sous le n° 141.
Les trois médailles de saint Éloi, dont nous venons de
parler, sont figurées dans notre Numismatique bélhunoise
sous les n° 2, 3 et 4 de la planche xur ; nous les décri-
vons ici de nouveau.
139. Dans un encadrement octogone, en grènetis, le
buste, à gauche, de saint Éloi, mitré, tenant à la main
droite le marteau caractéristique, et soutenant de l’autre
la crosse épiscopale. Légende : S ELOI.
qui se vendait à Lille chez Louis Mélino, le dernier fabricant des
petits drapeaux de pèlerinage. Nous avons vu à Béthune, dans la
collection de M. Béghin, une curieuse gravure sur bois, de la seconde
moitié du siècle dernier. Elle représente saint Éloi au milieu de
nuages, bénissant et tenant le marteau symbolique. Au-dessous est
la ville de Béthune, devant laquelle passe la Confrérie des Charitables
avec un défunt ; plus bas, deux groupes de pestiférés. Le titre porte :
Confratcrnilas sancti Eligii apud Bcthuneos a peste illesu.
— 138 —
140. S' ELOI DEFENSEUR DE BETHUNE. Le buste du
même saint, mitré, un peu penché, montrant de la main
droite le ciel, d’où s’échappent des rayons, et portant sa
crosse de l’autre. À. L'inscription suivante, disposée en
quatre lignes, les trois premières droites, la quatrième
circulaire : DEFENDEZ NOUS ENCORE DE LA PESTE.
141. Médaille faite sur le modèle de la précédente ; ce
‘sont les mêmes type, légende et inscription. Ici le buste
du saint évêque est plus grand et redressé*.
Médaille de Motre-Dame du Perroy
Hors de l’enceinte de la ville, entre les routes d'Arras
el de Douai, s'élevait, avant la Révolution, une grande
et belle chapelle, où l’on honorait, sous le titre de Notre-
Dame du Perroy, une statue qui représentait la Vierge,
en longue et large robe, tenant sur le bras gauche l'Enfant
Jésus vêtu de même, selon le type ancien et traditionnel.
L'histoire locale rapporte que ce petit édifice fut érigé, en
4. Signalons une belle petite médaille ovale, frappée récemment à
Paris, bien qu’elle n’entre pas dans notre cadre, malgré son appa-
rence religieuse. Ce n’est, en effet, qu’un souvenir métallique de ser-
vices rendus par le doyen actuel de la Confrérie des Charitables bé-
thunois. Le sujet principal est saint Éloi, debout, en costume d’évêque,
tenant sa crosse et l'Évangile, ayant à sa gauche, comme attribut, une
enclume avec marteau. La légende porte : Saint Eloi patron titu-
laire de Béthune et Beuvry, p. p. n ; l’exergue : 1188, année de la
fondation de la Confrérie. Au revers, dans une couronne formée de
deux branches d’olivier, on lit cette inscription énigmatique : C. S.
1829, 1838, 1849, 1877 ; elle s'explique ainsi : Clément Sy, confrère
on 1829, maïeur en 1838, prévôt en 1849, doyen en 1877.
“
— 139 —
1110, dans un lieu boisé, nommé le Perroy, par Robert
le Gros, seigneur de Béthune. Elle ajoute que Guillaume,
son fils et son successeur, enrichit ce sanctuaire, et
qu’il fonda, près de là, le prieuré de Notre-Dame du
Perroy pour l’abbaye du Mont-saint-Eloi*.
Cette chapelle, d'abord visitée par les personnes pieu-
ses de la ville et des environs, devint bientôt le but
d’un pèlerinage, où l’on venait de toutes parts, pendant
les fêtes consacrées à la Vierge, demander à la Mère des
affligés de soulager les malades et de secourir les pri-
sonniers. Lors des siéges de Béthune, surtout durant
celui de 1710, le monument isolé fut exposé à de grands
dangers auxquels il échappa cependant ; il fallait le cata-
clysme de 1793 pour le faire disparaître : il fut vendu
alors, puis démoli. Toutefois la statue avait été sauvée,
et quand, au commencement de notre siècle, le calme
revint, on plaça la précieuse madone dans une chapelle
improvisée sur l'emplacement de l’ancienne. C'estencore
à qu'elle est exposée à la vénération publique.
La dévotion à Notre-Dame du Perroy a donné lieu,
vers la fin du xvr° siècle, à une médaille de plomb,
ayant quatre globules extérieurs, disposés en croix. On
y voit, du côté principal, la représentation de la statue,
c'est-à-dire la Vierge couronnée, tenant un sceptre à la
main droite, et portant sur le bras gauche l'Enfant Jésus,
aussi couronné, Le revers se compose de la légende sui-
4. Chronique du prieuré du Perroy, œuvre manuscrite, attribuée
à l’abbé Doresmieux, dont une copie se trouvait dans la bibliothèque
de M. Godin, Archiviste du Pas-de-Calais. — F. Lequien, Notice sur
la ville de Béthune. — A. de Cardevacque, Notice sur le prieuré de
Notre-Dame du Perroy. — Notre Numismatique béthunoise.
— 140 —
vante, en quatre lignes: NOTRE DAME DV PERROY. Cette
médaille, publiée dans notre Numisinatique béthunoise, a
été reproduite par M. de Cardevacque dans sa Notice sur
le Prieuré de Notre-Dame du Perroy.
Médaille de sainte Wilgeforte
Cette sainte, honorée en divers lieux comme vierge et
martyre, et qui figure comme telle dans le Martyrologe .
romain, est représentée barbue, vêtue d’une longue robe
et crucifiée, et a reçu dans divers pays plus de quinze
noms, la plupart bien différents. On l’a appelée, en
latin: Wilgefordis, Wegelfortis, Liberata, Liberatrix et Eu-
tropia, et en français : Wülgeforte, Vilgeforde, Milleforte
et Livrade *. Nous n'avons point à raconter ici les choses
merveilleuses que les anciens auteurs espagnols et por- :
tugais ont avancées sur sa légende; il nous suffira dedire
quelques mots du culte dont elle était l’objet à Béthune.
Pendant longtemps, des fidèles des environs sont
venus, principalement en été, servir sainte Wilgeforte,
qu'ils nommaient Milleforte. Ils l’invoquaient pour la
santé de leurs enfants qui souffraient de convulsions
1. Aglaüs Bouvenne, Légende de sainte Wilgeforte. — Le Père
Cahier a donné, dans ses Caractéristiques des Saints, un long article
fort curieux sur cette singulière sainte. M. de Linas a publié aussi
d’intéressants détails sur le même sujet dans le Moniteur de l’Archéo-
logue et du Collectionneur, année 1866, pages 7 et 11. Voir encore:
La vie de sainte Wilgeforte d’après les anciennes traditions. Cet
opuscule de 36 pages, imprimé à Boulogne en 1870, avec l’appro-
bation épiscopale, a été publié par M. l'abbé Haigneré, pour le
pèlerinage de sainte Wilgeforte, encore en vigueur à Rinxent, à
Wissant et en d'autres lieux du diocèse,
— 141 —
ou qui étaient rachitiques. On les vit souvent s’agenouiller
devant un tableau qui représentait en croix une jeune
fille, vêtue d’une longue robe bleue, et portant les che-
veux épars, attachée par les bras, les pieds et la ceinture
avec des cordes à l'instrument de son martyre. Au bas
du cadre on lisait: Ste Milleforte, p.p. n.Leur prière faite,
les pieux visiteurs allumaient d'ordinaire des cierges
ou chandelles devant ce tableau, puis ils se retiraient ‘.
Nous possédons une médaille que nous attribuons à
cette piété; c’est le n° 143, pièce octogone du commen-
cemeut du xvir* siècle, dans le style et de la fabrique
de celles du pays, frappée sur deux minces feuilles de
cuivre soudées ensemble. D'un côté, l’on voit en croix
une femme dont la face virile et barbue est entourée
d’un nimbe ; légende : S. WILGEFORT*. À. S. IACQ
MINEVR. L’apôtre saint Jacques le Mineur, nimbé, le-
nant de la main droite une massue baissée, son symbole
ordinaire, et de l’autre, un livre ouvert. Nous ignorons
la raison qui a fait choisir ce sujet.
Telles sont les médailles religieuses de Béthune. Il en
a cependant été fabriqué d’autres en cette ville, mais
elles ne s’y rattachent que par le lieu de fabrication et
de vente. Nous voulons surtout parler de médailles
4. M. de Linas, articles cités ci-devant, et renseignements fournis
obligeamment par feu M. Montbrun, de Béthune, qui a recueilli avec
soin les documents relatifs à sa ville.
Avant la récente restauration de l’église, le tableau dont il vient
d’être question était placé près de la tour, il en a été retiré alors, ce
qui a mis fin à cette dévotion.
9. Les Bollandistes ont donné, dans leurs Acta sanclorum, t. v.
p 299, une gravure de cette sainte, qu’on trouve reproduite dans les
Caractéristiques des saints.
— 142 —
d’étain et de plomb, de forme octogone, aux types si
connus de saint Roch et de saint Hubert, dont un des
moules, en pierre de Tournai, a été retrouvé en cette ville
et recueilli par nous.
— PRIS —
IX
BLANDECQUES
Médailles de Notre-Dame de Blandecques
Cet ancien village, dont l’intéressante histoire a été
esquissée par un auteur audomarois*, est situé dans une
vallée aussi riche qu’agréable, à trois kilomètres de Saint-
Omer. Vers la fin du xu° siècle, s’y établissait une abbaye
de filles de l’ordre de Citeaux, sous l'invocation de sainte
Colombe ?. Ce monastère réunissait une vingtaine de reli-
gieuses ; supprimé au commencement de la Révolution,
il disparut bientôt presque entièrement. Sesarmes étaient:
Une colombe d'argent avec une petite crosse d'or dans un
champ de sable.
La communauté gardait pieusement depuis sa fonda-
tion deux cierges qui provenaient de la sainte chandelle
4. Piers, Petites histoires des communes de l'arrondissement de
Saint-Omer, p. 41. |
9. Gallia christiana, t. mt, p. 533.
— 143 —
d'Arras ; l’un était enfermé dans une élégante châsse
d'argent, en forme de pyramide ; l’autre était enchâssé
plus simplement. Deux fois par mois, on allumait sur
l’autel consacré à Notre-Dame du Joyel, ce dernier cierge
qui était ainsi exposé à la vénération des fidèles. Mais
c'était principalement le jour de la Visitation que les pè-
lerins venaient de toutes parts, en grand nombre, y in-
voquer Notre-Dame des Ardents, dont on célébrait alors
la fête. Cette dévotion a produit dans la première moitié
du xvrr° siècle la médaille suivante.
144. NOÔTRE D:.D.BLENDEC. La Vierge, couronnée,
tient une crosse de la main droite, et de l’autre, le cierge
vénéré. À. Colombe à gauche, dans un écu devant lequel
est une crosse; c'est, comme on le voit, la reproduction
des armoiries du couvent. |
Cette médaille, que nous avons vue dans le médaillier
de M. Herwyn, de Bergues, a été frappée sur deux feuilles
d'argent réunies ensuite ; elle est, de chaque côté, en-
tourée d'un fort grènelis.
1. Le P. Fatou, Discours sur les prodiges du saint Cierge, —
À. Terninck, Notre-Dame du Joyel, p. 42. — Sanctuaire de Notre-
Dame des Ardents, p. 48.
X
BLANGY-SUR-TERNOISE
fMidailles de sainte Berthe
Le pélerinage de Blangy, l’un des plus anciens et des
plus célèbres du Pas-de-Calais, devait avoir sa place dans
notre histoire métallique des dévotions populaires de ce
département. Donnons ici l'explication de ce culte si re-
nommé. En 644, naquit au château de Blangy une enfant
que l'église devait mettre un jour au nombre de ses
saintes. Berthe, tel était son nom, eut pour père Ricobert,
comte de Ponthieu, pour mère Ursane, fille d'Ercom-
bert, roi de Kent, et pour aïeule paternelle sainte Ger-
trude. abbesse d'Hamage. Elle reçut une éducation chré-
tienne, qui développa ses éminentes qualités. A l’âge de
dix-sept ans, elle épousa Sigefroy, de la race des Francs,
dont elle eut cinq filles. Veuve après vingt ans de ma-
riage, Berthe renonça au monde et fonda, près de son
château de Blangy, un monastère qu'elle soumit à la
rêgle de saint Benoît, vaste couvent qui compta bientôt
plus de cinquante religieuses. La sainte fondatrice en
fut l’abbesse, et y consacra entièrement les quarante
dernières années de sa vie à la prière, aux mortifications
et à la plus admirable charité, donnant ainsi à sa com-
a
— 145 —
munauté l'exemple de toutes les vertus. En 723, elle
quittait la terre pour recevoir la récompense que Dieu
réserve à ses élus.
Les filles de Berthe s’appelaient Gertrude, Déotile,
Emma, Gésa et Gesla. Les deux premières prirent le
voile avec elle; la troisième épousa Seward, prince
anglo-saxon ; quant aux deux autres, elles moururent
en bas âge. | |
Les chroniques locales rapportent des choses merveil-
leuses sur la sainte de Blangy. Un Franc de haute origine,
épris d'une vive passion pour Gertrude, avait formé le
projet de l'enlever de son monastère ; n'ayant pu y
réussir, il avait employé par vengeance des moyens
odieux contre la vénérable Berthe; il en fut puni par
la perte de la vue. Emma, délaissée par un époux dé-
pravé, revenait à Blangv, quand elle fut atteinte, dans la
traversée, d’une fièvre qui l’enleva aussitôt. La pauvre
mère alla à la rencontre du corps inanimé de sa chère
enfant qu’elle voulut voir une dernière fois; Emma ouvrit
les yeux et les referma pour jamais. Les récits qui pré-
cèdent serviront à expliquer en partie les médailles de
cet arlicle.
Sans vouloir faire l’historique du monastère de Blangy,
4. Dom Charles Roussel, Histoire abrégée de la vie et miracles
de sainte Berthe, fondatrice, première Abbesse et Patronne de
l'Abbaye Royale de Blangy en Artois. — Parenty, Histoire de sainte
Berthe et de l'Abbaye de Blungy. — Bion, Vie de sainte Berthe, ab-
besse de Blangy-sur-Ternoise. — Sellier, Manuel de dévotion à sainte
Berthe. — Fromentin, Dévotion à sainte Berthe. — Robert, Pro-
menade archéologique à Sainte-Berthe. — Van Drival, Légendaire
de la Morinie.
40
— 146 —
dont il ne reste que des ruines, nous rappellerons cepen-
dant qu'en 790, une autre Berthe, fille de Charlemagne,
se choisit ce couvent pour retraite, que l'abbaye fut dé-
truile, en 882, par les Normarñds, et qu elle fut recons-
truite, en 1053, par Druon, évêque de Thérouanne ; que
depuis lors jusqu'à la suppression des ordres monasti-
ques, elle fut tenue par des religieux bénédictins. Il con-
vient aussi de dire que, pendant son exil bientôt suivi
de son martyre, saint Thomas de Cantorbéry avail visite
cette abbaye royale, où était précieusement conservé
l’anneau pastoral de l’illustre prélat', et où son nom était
particuliérement honoré.
Peu de temps après la mort de sainte Berthe, un mo-
nument d’une grande munificence avait été élevé dans
l’église du monastère, pour recevoir sa dépouille mor-
telle. Des prodiges s'étant opérés sur cette tombe, on y
vint en foule de toutes parts implorer la sainte de Blangy.
Le pélerinage s'est perpétué de siècle en siècle, et n'a
jusqu'ici rien perdu de son éclat et de sa renommée. Le
trois juillet de chaque année, la précieuse châsse de sainte
Berthe, déposée sur le maître-auLel de l’église paroissiale,
est placée dans le chœur, où elle est exposée à la véné-
ration publique*.
Nous avons recueilli cinq médailles de ce pèlerinage ;
elles sont de cuivre jaune, les trois dernières se trouvent
aussi en argent. La première appartient à la seconde
moitié du xvrr° siècle ; la seconde, au milieu du siècle
4. Arnould de Raiïsse, Hierogazophylacium, p. 117.
2. Malbraneq, De Morinis, t. ut, p. 196. — Dans son Annuaire du
diocèse d'Arras, paur l’année 1866, M. l'abbé Robitaille a consacré
un intéressant article au pèlerinage de Blangy.
di
derpier, et les trois autres ont été frappées vers HSE
En voiei la description :
145. Sainte Berthe, nimbée, en habit . por-
tant transversalement sa crosse abbatiale, est agenouillée
à gauche, devant un autel sur lequel elle offre à Dieu ta
couronne et le sceptre qui rappellent sa royale origine.
Au-dessus de l'autel, on voit la Vierge assise sur des
nuages avec l'Enfant Jésus, qui va couronner la noble
abbesse; Marie et son divin fils sont nimbés. On remarque
encore des nues d'où sort la tête d’un ange, les lettres
5.B, initiales de sainte Berthe. et un monastère, À. Trois
saints nimbés, deux de face et le troisième tourné de leur
côté. Le premier, vôlu d’une chasuble ornée d'étoiles, et
{nant un çalica de la main droite, est saint Thomas de
Cantorbéry, comme l'indiquent ses initiales ST, placées
en légende près de lui. Le second, couronné, ayant une
étoile au-dessus de la tête, et sous les pieds les lettres
S G, est couvert d'une armure avec manteau et large
collet ; de plus il porte un sceptre à la main droite, Ce
prince guerrier est le saint Gompbert qui figurera sur la
médaille suivante, Enfin le troisième, représenté en reli-
gieux avec un bâton à la main, est saint François de Paule,
que désignent son costume, son appui et ses initiales S F,
inscrites près de sa tête. Nous pensons qu'il aura été
choisi en qualité de patron de l'abbé qui était en exercice,
quand celte belle et curieuse médaille a été frappée.
146. Sainte Berthe, à mi- corps, à gauche, en religieuse,
la têle entourée d une auréole rayonnante, Elle tient
. 4. On Louve an effet sur la liste des abbés de Blangy, François
Vollant, de Berville, en 1671, date qui convient bien à notre médailla,
— 148 —
sur la main droite une église, emblème de sa fondation
monastique, et de l’autre, sa crosse. Exergue : S. BER-
THE. À. S - GONBER., légende gravée à rebours. Roi vu
à mi-corps et de face ; il porte une longue et forte che-
velure et une couronne à fleurs de lis ; il a un sceptre à
la main droite‘. Cette médaille est d’une exécution qui
laisse beaucoup à désirer, surtout quand on la compare
avec la précédente.
147. Sainte Berthe, en pied, pressant contre son cœur
une croix avec palme, êt tenant sa crosse. Elle est posée
sur un socle où est inscrit le millésime 723, année de sa
mort. À sa droile est son monastère ; à sa gauche, son
château ; en deçà du couvent, une couronne et un sceptre,
puis le corps étendu d'Emma ; de l’autre côté, trois
petites figures. Le socle est accosté de deux écussons
surmontés d’une mitre et d’une crosse, pour désigner
les armes de l’abbaye et celles du dernier abbé. C’est en
médaille une réduction modernisée de l’image vendue
autrefois aux pélerins et mise en tête du livre de Dom
Charles Roussel”. La légende suivante, en neuf lignes,
extraite littéralement de la prière mise au bas de cette
image : SAINTE BERTHE FONDATRICE ET ABBESSE DE
BLANGY PRIEZ POUR NOUS CONSERVER LA LUMIÈRE
DE NOS YEUX, AINSI SOIT-IL.
4. Nous avons vainement cherché dans les hagiographies le nom
de saint Gombert, dont la longue chevelure semblerait désigner un
prince de l’époque mérovingienne. Ne serait-ce pas le père ou l’aïeul
de sainte Berthe ?
2. Plusieurs images et gravures de sainte Berthe la représentent
ainsi, notamment une grande lithographie éditée à Hesdin, il y a peu
d'années. |
— 149 —
148. Sujet imité de celui du droit précédent dont il
ne diffère que dans les détails; l’exécution en est plus
soignée. À. Même légende.
149. S° BERTHE PRIEZ POUR NOUS. Même type du
droit, d'un autre coin. À. S' LIEVIN PRIEZ POUR NOUS.
Saint Liévin en habits pontificaux, tenant une tenaille à
la main droite et une crosse de l’autre. C’est la proximité
du pélerinage de Merck-saint-Liévin qui a fait choisir le
sujet de ce revers.
(La suite au prochain volume).
IT
._ SÉANCE PUBLIQUE DU 21 AOÛT 1879
DISCOURS D'OUVERTURE
par
M. PARIS
Président.
MESSIEURS,
La séance solennelle que l’Académie tient chaque
année, d'après une tradition qui remonte à sa fondation
même, nous procure l'avantage et le plaisir d’avoir ainsi
des relations suivies avec un public d'élite, ami des
lettres, des sciences et des arts, de tenir nos concitoyens
au courant de nos travaux, qui intéressent presque toutes
ces contrées d'une manière spéciale, de leur permettre
d'apprécier le résultat de nos concours et de donner
enfin plus d'éclat à la proclamation des récompenses
offertes aux lauréats. |
Le rôle du.président me semble tout tracé : c’est pour
lui un devoir de signaler les faits principaux qui méritent
d’être notés dans le cours de notre paisible existence ;
d'exposer, à grands traits, le programme que rempliront
ensuite notre secrétaire-général et nos divers rappor-
— 154 —
teurs ; en un mot, de vous présenter une sorte d’intro-
duction qui fasse pressentir ce que sera le livre offert à
votre curiosité.
Le mérite d’une préface est la briéveté. Je l'oublierai
d'autant moins que l’ordre du jour de cette séance est
aussi complet que varié, et que j'ai hâte de donner la
parole à mes savants collègues et particulièrement à
celui qui prend aujourd’hui, d’une manière officielle, sa
place au milieu de nous. | |
L'arrivée, hélas ! est précédée d’un départ. Nous avons
eu la douleur de perdre, dans le cours de l’année, un
des membres de l’Académie les plus anciens et les plus
estimés. Pour célébrer dignement la mémoire de M. Mau-
rice Colin, l’Académie a voulu qu’une notice spéciale re-
produisit les diverses phases d’une existence si bien
remplie et dans laquelle les soins donnés à la chose
publique occupent une si large place. Vous savez, 1nes
chers collègues, combien les pages dictées à M. le Gentil
par le sentiment de la justice et de l’amitié ont répondu
à notre attente. Reproduites dans le prochain volume de
nos annales, elles montreront que l’Académie se fait un
devoir de consacrer, après la mort, le souvenir de ceux
qui, de leur vivant, ont été son honneur.
= Nous avons vu s’accomplir une autre séparation; mais,
cette fois, nous n'avons à regretter que l'éloignement
d'un collaborateur, et nous pouvons nous promettre de
revoir encore le collègue qui, attiré vers l’Anjou par
l'amour de la famille et du pays natal, a dit adieu à ses
chères Archives et aux rives de la Scarpe. M. Richard a
passé trop peu de temps à Arras pour révéler à ions se
savoir profond que voilait tant de modestie. Les hommes
155 —
studieux qui fréquentent les archives départementales
n'’oublieront pas avec quels persévérants efforts et quelle
compétence M. Richard opérait le classement des docu-
ments précieux qui se rapportent à la période des comtes
d'Artois, et avec quel aimable empressement, chercheur
infatigable, il faisait profiter de ses découvertes les ama-
teurs de travaax historiques.Je serai, j'en suis sûr, l’inter-
prète de vos désirs, en envoyant d'ici un salut amical à
M. Richard, devenu membre honoraire de l’Académie, et
en exprimant de vœu qu'il mette bientôt au jour l'élude
sur la comtesse Mahaut et l’Artois au xiv° siècle, dont i
avait rassemblé les matériaux.
Non contents de chercher à réparer par d'excellents
choix les pertes que nous avons subies, nous avons
nommé cette année plusieurs membres correspondants ;
nous avons étendu nos relations avec les Sociétés savantes
de la France et de la Belgique.
_ Le compte-rendu de nos travaux intérieurs vous mon-
trera combien ont été nombreuseset diverses les lectures
qui ont rempli nos séances hebdomadaires.
L'activité fait naïtre l’émulation. Les sujets mis au
concours pour l’année 1879 ont été traités avec succès.
Nous couronnerons tout-à-l’heure trois mémoires sur
les places d'Arras, le glossaire du patois artésien, l’his-
toire de l'invention et de l’exploitation de la houille dans
notre département.
Les beaux-arts ont également répondu à notre appel.
Ün artiste du Pas-de-Calais, dont je n’ai pas à faire
l'éloge, l'auteur de la Muse d'André Chenier, de Rebecca
à la fontaine, de l'abbé Suger, de la Vierge des Ardents,
du Monument de David d'Angers, a fail hommage à l’Aca-
— 156 —
démie du buste de M. le chanoine Parenty, notre
regretté chancelier. L'Académie reconnaissante, lui a
accordé le prix annuel, fondé par la libéralité d’un de
ses membres.
En résumé, si l'Académie n'a point été exempte
d'épreuves pendant l’année 1879, nous pouvons nous
féliciter des résultats dus à sa persévérance et à ses
encouragements. C'est un nouveau molif pour que votre
président vous témoigne sa reconnaissance de l'honneur
que vous lui avez fait, Messieurs, en lui donnant, pour la
seconde fois, une marque d’estime dont il est fier. J’au-
rais dû commencer ce discours en vous adressant mes
remerciments; vous m'excuserez de les avoir réservés
pour la fin: c’est à un post-scriptum que l’on confie sou-
vent ce qu'une leltre a de plus intime.
RAPPORT
sur les
TRAVAUX DE L'ANNÉE
par
M. le Chanoine E. VAN DRIVAL
Secrélaire-Général.
— 20080 ce —
MESSIEURS,
L'Académie d'Arras, fondée en 1737, est une des plus
anciennes Sociétés littéraires de France. Elle compte
aujourd hui un siècle et demi d'existence, ou bien peu
s’en faut, c'est-à-dire cent quarante-deux ans.
Or, si toujours elle a eu le titre de Société littéraire
d'abord, puis d'Académie des Belles-Lettres, lors de la
reconnaissance officielle, en 1773, toujours aussi elle a
joint à la culture des Lettres celle de l'Histoire, et jamais
elle n’a négligé les Sciences ni les Arts.
Facilement nous en trouverions la preuve dans les
cinquante-cinq volumes qu’elle a publiés depuis le com-
mencement du siècle et dans les volumes non moins
nombreux et non moins variés, publiés par ceux qui
— 158 —
nous précédèrent dans la même carrière, au siècle
dernier.
Les Lettres, l'Histoire, les Sciences, les Arts, tel est le
domaine tout intellectuel de notre Académie, tel est le
vasle champ qu'elle cultive avec persévérance, sachant
que le travail continu, opiniâtre, finit toujours par être
utile et atteint son but tôt ou tard. Si, en particulier,
pour l’année qui se termine, nous examinons les travaux
de J’Académie d'Arras, en les classant dans l’ordre qui
vient d'être indiqué, nous verrons que la vieille Société
a été fidèle à ses bonnes traditions et qu’elle n’a rien
oublié de ce qui a fait sa réputation dès son origine.
En effet, les Lettres ont été représentées assiduement
dans nos séances hebdomadaires.
Notreexcellent collègue etancien Président, M. Lecesne,
ne va-l-il pas, aujourd’hui même, nous donner un nou-
veau spécimen de ces compositions poétiques, toujours
faciles et spirituelles, quil nous accorde pourtant avec
trop de parcimonie? Notre nouveau collègue, M. Ricouart,
ne va-t-il pas, lui aussi, nous donner l'appréciation très-
littéraire d’une œuvre de littérature sui generis? Et déjà
plus d’une fois ne nous a-t-il pas donné la preuve de ses
habitudes littéraires, en remerciant, dans la langue des
poètes, la Société qui l'a admis dans son sein, avant de
lui parler, comme il va le faire tout-à-l’heure, dans la
langue des prosateurs, dans laquelle, pas plus que dans
l’autre, il n’a pas à faire ses preuves. Et d'ailleurs sa tra-
duction en vers de Manilius, couronnée ici même l'an
dernier, étaitassurément une œuvre littéraire au premier
chef. | |
Plusieurs fois, dans nos séances hebdomadaires, je
_ 459 —
vous ai entretenus du drame religieux au moÿyen-âge,
sujet sur lequel on fait aujourd’hui beaucoup de recher-
ches qui produisent des découvertes curieuses. Plus sou-
. vent je vous ai communiqué, parce qu'ainsi vous l'avez
voulu, une série d’études sur l’origine du langage, étude
à laquelle je me livre dépuis de longues années, mais
que j'aime à laisser de temps en temps dormir, selon le
précepte d'Horace, afin de ne donner que des choses
certaines et bien éprouvées, lorsqu'il s'agira de les
publier.
La Littérature proprement dite, votre premier objet,
n'est donc pas négligée chez vous.
L'Histoire, il faut le dire ici, l'emporte de beaucoup
sur les Lettres, et c'est là surtout la branche privilégiée
dans l’Académie d'Arras. L'histoire d'Arras atlire très-
parliculièrement l'attention de plusieurs d’entre vous, et
c'est avec le plus grand soin que vous en recherchez
sans cesse les faits, avec les preuves originelles de ces
faits. Dans cet ordre d'idées, M. le Gentil nous a donné
plus d’une Monographie. Il nous a également donné des
Biographies qui sont aussi de l’histoire, notamment celle
de M. Maurice Colin. M. Lecesne a continué ses éludes
intéressantes sur Arras, et il nous a fait connaître dans
ses détails un des épisodes les plus émouvants de l’his-
toire de cette cité, la Vauderie à Arras.
M. Proyart nous a présenté une série de recherches
sur Raoul de Neuville, évêque d'Arras: c’est avec un
véritable intérêt que l’on lira, dans nos Mémoires, cette
Biographie d'un homme qui a rendu de notables ser-
vices à ce pays, !l y a sept siècles.
Vous avez accueilli avec un plaisir tout particulier les
— 160 —
communications d'un homme studieux qui n’est plus
notre Collègue habituel, et qui pendant son séjour dans
notre Artois avait travaillé à l’histoire d'Arras avec le
zèle d’un Artésien. M. Richard nous a donné l’histoire
des Maladreries de nos contrées, il nous a donné une
foule de renseignements historiques puisés aux sources;
il nous prépare la publication d’un cartulaire et de
pièces imporlantes concernant l’Artois. Il nous promet
de continuer, comme Membre honoraire, de collaborer
assiduement à nos travaux: c'est là une promesse que
nous nous plaisons à enregistrer ici et dont nous lui
donnons acte.
M. Paul Lecesne et plusieurs autres Collègues ont
ajouté à cet ensemble de documents un assez bon nom-
bre d’autres documents dans les séances hebdomadaires
toujours si bien remplies. L'histoire a donc été par vous
cultivée avec le soin qu’elle mérite, et c’est avec empres-
sement que tout à l’heure encore, vous allez couronner
une nouvelle œuvre d'histoire, qui touche d’une façon
intime à la ville d'Arras.
Vous allez aussi couronner une œuvre de science: c’est
dire que les travaux scientifiques ne vous sont pas
étrangers. De temps en temps, en effet, vous recevez
des communications de ceux d’entre nous qui s'occupent
de science, et toujours ces communications sont ac-
cueillies avec l'intérêt le plus vif.
L'art, il faut le dire, a pour vous encore plus
d’attraits, surtout quand l’art est uni à l’érudition. Dans
cet ordre de recherches, vous avez distingué, comme
c'était justice, les profondes et persévérantes études de
M. de Linas sur les origines de l’orfévrerie cloisonnée.
#
— 161 —
Vous avez voulu lire et relire ses deux volumes qui ont
vu le jour; vous attendez avec impatience la suite de ces
savants travaux, et vous êtes heureux quand l'auteur
vous donne, ce qu'il fait souvent, la primeur de ses
découvertes. C’est avec bonheur que vous applaudissez
à ses succès.
M. Richard vous a donné des inventaires d'objets
d'art, extraits des Archives du département : il a nota-
blement augmenté la liste déjà riche de nos titres et
ouvert la voie à de nouvelles et heureuses investigations.
C’est avec joie que vous avez accueilli certaines décou-
vertes, dues en partie à M. Richard et en partie à votre
Secrétaire-général, sur un sujet Atrébate entre tous, les
Tapisseries d'Arras. Jaloux de conserver à Arras une de
ses gloires les plus positives, j'ai voulu prendre date et
publier, dès maintenant, des pièces d'archives qui cons-
tatent le plein exercice de l'art des tapisseries à Arras,
dès l’an 1312; prochainement j'espère, pièces en mains,
prouver une origine encore plus reculée.
J'ai, d'ailleurs, fourni toule une tradition non inter-
rompue de pièces d'archives pour tout le xiv° siècle et
pour tout le xv°. Avec d'autres documents que nous
tenons en réserve, nous ferons une seconde édition des
Tapisseries d'Arras, et nous maintiendrons à notre cité
artistique la gloire qui lui est due.
Plusieurs découvertes, soit artistiques, soit archéolo-
giques, ont été signalées et décrites dans vos séances.
Ici encore nous avons à mentionner les recherches de
M. le Gentil sur les décorations murales dans la ville
d'Arras, les antiquités gallo-romaines de M. Terninck,
surtout sa curieuse maison située vis-à-vis de la porte
1i
— 162 —
Maïtre-Adam, maison qui n'a pas encore livré tous ses
secrets. Enfin, nous avons l'importante pierre tombale
du xru* siècle, trouvée près de la porte Saint-Michel.
M. Grandguillaume, lui, ne s'occupe pas d'art à la
manière de ses Collègues. Il en fait bel et bien, et c’est
avec une générosité sans égale qu'il meuble notre salle
de séance, transformée en galerie splendide de monu-
ments d'Arras, et des portraits, au grand complet, de
tous les Membres de notre Société.
Sous une autre forme, l’art se présente encore au
milieu de nous, et ici nous n'avons pas le droit de
nommer l'auteur premier de tous ces bustes, qui vien-
nent successivement orner nos salles de séance, biblio-
thèque et autres pièces de notre belle installation.
L'initiative artistique est grande ici, c’est bien évident,
et ce n’est pas de ce côté non plus que l’on pourra repro-
cher à notre Académie d’avoir dégénéré.
Le travail considérable de M. G. de Hauteclocque sur
l’enseignement dans le Pas-de-Calais, avant 1789, (touche
à plusieurs catégories de sujets. Voilà pourquoi nous le
citons après lesautres, .en faisant remarquer l'importance
de ces recherches et le grand jour qu’elles projettent sur
l’état ancien de la France, dans ce qui forme aujourd'hui
le Pas-de-Calais. Ai-je tout dit, Messieurs, ai-je tout passé
en revue? Evidemment ceci n'est qu'un sommaire, une
esquisse incomplète de vos travaux.
Une Société quise réunit régulièrement une fois chaque
semaine, qui à chaque fois des sujets de lecture, des
dissertations, des études, est une Société pleine d’acti-
vilé et de vie.
Aussi entrelenez-vous avec les autres Sociétés fran-
— 163 —
çaises et étrangères des relations habituelles, qui vont
même se développant : aussi vos concours sont-ils suivis
et vos questions deviennent-elles l’objet d’études sé-
rieuses. La quantité des Mémoires envoyés n’est pas
encombrante, sans doute; mais la qualité est fort remar-
quable, ce qui vaut mieux. Les Rapports qui vont être
lus tout-à-l'heure prouveront, d’ailleurs, l'importance de
ces CONCOUrs. | |
En résumé, Messieurs et chers Collègues, l’année aca-
démique a été bonne pour nous : dans le calme de nos
réunions, nous avons échangé beaucoup d'idées utiles,
nous avons appris bon nombre de faits intéressant l'his-
toire et l’art de notre pays. Il nous semble qu'il y a, dans
ce calme de l’étude, des éléments d’un bonheur vrai, de
jouissances élevées : nous désirons fort que ce goût de
l'étude se répande un peu plus, qu'il entre dans les
usages ordinaires et ramène .aux idées justes et aux
grandes pensées. :
DISCOURS DE RÉCEPTION
de
M. RICOUART
Pourquoi faut-il, MEssreurs, que les débuls d’un Mem-
bre récemment admis dans le sein de votre Compagnie
soient toujours attristés par les regrets et ne doivent de
se produire qu’au passage de la mort dans vos rangs! En
cette inexorable nécessité, bien que l'éloge du Confrère
dont nous déplorons la perte ait droit à la première
place, de par la tradition académique, dans le discours
du récipiendaire, j'avoue mon impuissance à faire assaut
d’éloquence et de vérité avec ceux d'entre vous, Mes-
sieurs, qui ont écrit ou prononcé le panégyrique de
M. Colin; qui ont dépeint sous ses trois aspects, le juge
intègre, le commerçant distingué, l'administrateur sou-
cieux des intérêts de ses concitoyens, et représenté à nos
yeux la grande figure de cet échevin des anciens temps,
véritable incarnation de la commune bourgeoise et de la
ghilde marchande. Permettez-moi, toutefois, de tirer
— 165 —
vanité d'avoir obtenu le fauteuil d’un homme désormais
inscrit dans les fastes de la ville d'Arras, et de pouvoir,
grâce à vos suffrages, m'appliquer ce que dit Virgile,
quand de l'arbre toujours jeune et toujours entier,
emblême des immortelles Académies, le fils d’Anchise,
maître du rameau fatidique, voit surgir à sa place une
branche nouvelle,
Pourtant mes titres à votre bienveillance se bornent à
peu de choses: un seul travail, un essai de traduction
fidèle, voilà tout mon actif littéraire. Si je me permets
de réveiller ainsi vos souvenirs en cette occasion, ce
n'est pas, je vous prie de le croire, pour imiter ce paysan
naïf qui ne savait qu'une prière, mais pour développer
l'idée qui m'a dirigé dans cette étude et faire admettre
sans hésitation que traduire un auteur latin, c’est faire
une œuvre utile.
Il faut savoir le latin... Je ne veux pas soutenir, Mes-
sieurs, que l’on doive relourner aux errements d’un
autre âge. L'ancienne Université avait inscrit dans ses
commandements les dialogues en latin, les plaidoyers
et les répliques, les thèses soutenues publiquement sur
quelque subtilité théologique ou littéraire. L'école était
un petit Forum, où s’exerçaient à la parole les futures
illustrations de la chaire et du barreau. Mais l’orateur ou
le poëte recousait péniblement, à l'aide d'un fil grossier,
les harmonieux débris pillés dans les modèles antiques,
el, sur un sujet moderne, jelait une parure de lambeaux
bariolés ; de cetle imitation servile, que peut-il sortir
d'utilement pratique ? C'est qu'il ne suffit pas, pour con-
naître une langue, de feuilleter le dictionnaire jusqu’à en
user les pages, de frapper à toutes les portes de Rome ou
— 166 —
d'Athènes, pour y trouver le verbe sous tous ses modes
et le mot avec toutes sus désinences ; en vain l'on jette-
rait la sonde à toute profondeur dans les ruines de la
Babel grammalicale, si l’on négligeait, enfoui sous cette
avalanche de racines et de finales, ce qui échappe à toute
investigation mécanique, le génie de la langue, le carac-.
tère du peuple qui l’a parlée, les besoins physiques qui
exigeaient de lui Lelle façon de dire, les émotions morales
qui amenaient telle manière de penser; en un mot, la
vérité historique et la conception philosophique. Sachons
donc le latin, mais en reléguant dans le musée des sou-
venirs la langue parlée de l'ingénieuse scolaslique,
cortentons-nous de traduire.
Ce n'est qu’en tournant sans relâche ces pages si for-
tement nourries des écrivains de Rome, en les disséquant
à fond pour pénétrer dans leurs plus intimes pensées, en
épuisant, selon l'expression de Rabelais, leur substanti-
fique moëlle, qu'on parvient à s'en approprier les
richesses, au point de s’ea faire gloire comme si on les
avait produites. Ainsi outillés, instructi, dirait un Romain,
les partisans des bonnes éludes, les admirateurs de
l'antiquité remonteront par la traduction jusqu'aux plus
lointaines origines, fixeront le sens propre du mot fran-
çais, en détermineront l'orthographe. La connaissance
du latin sera leur point de repère à travers les brous-
säilles du néologisme scientifique et leur refuge contre
les assauts du naturalisme littéraire. Dans celte lulte
contre l’envahissement de la langue du grand siècle par
celle de la Cour des Miracles, c’est dans l'étude des
anciens qu'il faut puiser les moyens de défense. Voici
donc la double tâche imposée à tous ceux qu’intéressent
-— 167 —
la pureté et la richesse de notre langue: d’une part,
Sauvegarder les sources: de l'autre, s'imprégner assez
des traditions Pour Soutenir notre littérature sur ces
éclalants sommets, où l'ont conduite nos grands écri-
Vains. Ce travail, raisonné maintenant et logiquement
entrepris, s'est accompli d’une façon inconsciente en
même lemps que Progressive à toutes les époques de
notre histoire,
el les Druides, l’histoire et la religion des ancêtres,
cherchérent un refuge dans les îles de l'Océan armoricain
€t, deux cents ans aprés l'occupation, toute la Gaule était
Romaine. La langue gauloise, qui n'avait pas de monu-
ments écrils, revêtit promptement la forme latine, même
dans les parties du territoire les plus éloignées des villes,
grâce à la multiplicité des habitations isolées et, selon
les habitudes romaines, disséminées sur toute la pro-
du peuple vaincu. plus vive, plus alerte, pleine de Syn-
Copes et d’abréviations, et Secouant, comme l'avait fait
R plèbe polygloite de la capitale de l'empire, le joug
Ss'aMmmalical de la terminaison multiple. Ce latin, rural
OU rustique, ainsi que le nommait saint Eloy dans sa
Premiêre homélie, détrôna le langase du vainqueur
4sSez rapidement pour que Grégoire de Tours déplorât
amérement que Son auditoire ne Comprit plus le latin
— 168 —
savant du prédicateur. Dés lors il fallut traduire, c’est-à-
dire qu’il fut nécessaire d'établir entre le leitré et le vul-
gaire un échange d'idées, et cet échange eut pour résul-
tat immédiat de maintenir le Romain officiel dans un état
de pureté relative et d'empêcher le rustique de se déla-
cher complétement du rameau latin. Tous ceux que la
haine du servage ou du joug des Centurions attirait dans
les monastères, toutes les intelligences qui s'éveillaient
encore au déclin de la gloire impériale, accomplirent
alors cette œuvre merveilleuse qui éclaire les débuts de
notre histoire, livrérent ce combat toujours renaissant
de la civilisation contre la barbarie et sauvèrent de la
ruine les derniers monuments de la puissance romaine,
noyée sous le flot germain, je veux dire les chefs-d'œuvre
de seshistoriens, de ses orateurs, de ses poètes, monu-
ments plus impérissables que les colonnes de ses temples
et les statues de ses empereurs. Viennent les Francs : le
scribe du monastère sert d’interprète à ces nouveaux
convertis, qui vont infuser dans les veines du peuple
gallo-romain, épuisées par quatre siècles de servitude
fiscale, un sang demeuré jeune et généreux dans la
liberté du sol germanique TL'évêquetraduit en théotisque
ou tudesque les homélies des Pères de l'Eglise, comme
il l’a fait en rustique pour le payen autochtone, et bien-
tôt l'élément nouveau de la nation désapprend, comme
le Gaulois, l’idiôme de ses pères et se fond insensible-
ment dans la masse des vaincus courbée sous la framée.
Le Normand, pirate et vagabond, plus tard envahisseur
et conquérant, doit aux mêmes nécessités {dirai-je aux
mêmes lois?) de subir l'influence de ces abbayes, qu'il a
tant de fois dépouillées et dévastées, et de devenir Fran-
— 169 —
çais, avec cette docilité à recevoir l'empreinte, à s’assi-
miler la langue et les usages étrangers qui caractérise les
peuples du Nord. Aussi, dès avant la guerre de Cent-Ans,
la langue française est sortie de cette longue enfance. où
l'a guidée avec vigueur et sollicitude le latin nourricier.
La douce Berthe, la langue d’Oil, avait bien pu abandon-
ner le lit royal à l’altière Constance, la langue d'Oc; mais
cette invasion passagère des troubadours méridionaux
avait laissé derrière elle des traces moins profondes que
les razzias orthodoxes des chevaiiers du Nord dans les
domaines du comte de Toulouse : quelques joyaux de
plus parmi ceux que les croisades avaient recueillis dans
leur course à travers l'Orient, à Chypre, à Bysance, à
Venise. Joiaville n'épèle plus. Le latin usé par ses efforts
prolongés, déformé par le contact de la langue vulgaire,
rentre dans les abbayes et dans les Universités pour n’en
plus sortir qu'au jour des cérémonies religieuses et des
tournois de la scolastique. L’Anglais peut occuper pen-
dant cent ans nos plus belles provinces, et, dans Notr-
Dame, poser la couronne de France sur le front de son
jeune roi: que nous lègue-t-il en disparaissant devant
l'épée de bois de la Pucelle? Les termes de raillerie dont
on salue sa retraite.
Mais voici que le xv° siècle, trainant à grand’peine l’atti-
rail vermoulu du moyen-âge, corrompu par cet amour du
bien-être qui naît de la réaction des grandes souffrances,
énervé par la débauche, refuge de ceux dont la vie doit
être courte, sent tout à coup souffler, à travers les Alpes,
un vent régénérateur de la pensée. C’est la Renaissance,
c'est la résurrection de ces grands morts, que la Rome
des Papes nomme avec respect Tacitus, Cicéro, Virgilus.
— 170 —
Un enthousiasme inoui s'empare de toute une génération
prête à vivre et qui trouve, à portée de sa main, l’arme de
Guttemberg, fourbie à l'approche de la bataille, arme
destinée à éclairer la terre du reflet éblouissant de sa lame.
Les langues, qu'on disait mortes, vinrent enseigner aux
intelligents que le monde avait dormi, et renouer après
un long rêve la chaine si longtemps rouillée des tradi-
Lions ; et l’on s’aperçut que le latin n'avait pas tout donné
de ses richesses. « Notre langue, s’écrie l’ardent Du Bellay,
est encore à fleurir; cela certainement, non pour le défaut
de sa nature, aussi apte à engendrer que les autres, mais
par la faute de ceux qui l’ont eue en garde; tant s’en fant
qu'elle ait apporté tout le fruit qu’elle pourrait bien pro-
duire, mais ils ne l'ont cultivée à suffisance. » Or quel
moyen indique-t-il de la rendre féconde ? « La traduction
et limitation des sacrées reliques de l’antiquité ». « Notre
langage, » dit-il, « sinon tant copieux qu'il pourra bien
être, est pour le moins fidèle interprète de tous les autres.
Toutes fois, ce Lant louable labeur de traduire ne me
semble moyen unique et suffisant. Faisons comme les
Romains, imitant les meilleurs auteurs grecs, se transfor-
mant en eux, les dévorant et, après les avoir bien di-
gérés, les converlissant en sang et nourriture. »
Aïnsi, vous le voyez, Messieurs, le latin (pour continuer
la métaphore employée par Du Bellay), le latin: a servi
de tuteur à la langue française, la Pléiade a rendu l'arbre
touffu ; que Malherbe vienne l’émonder, et rien n'arrête
plus le lettréqui, désormais, abrité par ses rameaux ver.
doyants, est libre, sous cette ombre protectrice, de se
transporter en esprit au milieu des civilisations antiques.
Mais si le précepte du poèle Angevin, appliqué en ce
— 171 —
qu’il a de sage aux littératures du xvu° et du xvrrr° siècle,
nous a donné le Cid, Iphigénie et Mérope : si l'imitation
de Shakespeare et de Schiller a révolutionné le monde
classique ; si enfin, le génie de Loibnitz a profondément
sillonné le champ de la philosophie livré aux ronces des
d'Holbach el des Helvétius ; la traduction, dans sa signi-
fication absolue, ne reste pas à la hauteur de ces résultats
immenses. Hélas ! c’est en jetant un coup d'œil sur le
style et-la manière des traducteurs d'alors qu’on est iné-
vitablement amené à trouver trop peu sévère encore la
sentence italienne: « Traduttore, traditore. » S'il est juste
d’avouer, avec l’un des écrivains les plus spirituels de
notre littérature contemporaine (Alphonse Daudet) qu'à
traänsvaser une langue dans une autre, on en perd
toujours quelques gouttes, il est impossible de garder
son sérieux devant le travestissement hideux et plaisant
tout à la fois dont on affublait Juvénal ou Virgile. Sur la
scène, accommodés à la mode du jour, les Pompée, les
Agésilas, étalaient avec complaisance les rubans déme-
surés de leur canons et les boucles soyeuses de leurs
perruques à la fraaçaise. Dans le livre, les vers du poète
épique ou satirique, sont traduits en langage précieux,
en dépit du sens véritable et de ce que la critique appelle
la couleur locale. Ainsi, par exemple, l’affranchi de
Domitien, « jam princeps equitum » est colonel-général
de la cavalerie ; et la femme de Serranus, dictateur,
« agréablement surprise, vient en hâte le revêtir des
habits de sa nouvelle dignité. »
Quem trepida ante boves dictatorem induit uxor.
Jusqu'aux premières heures du xix° siècle, il fut de bon
— 172 —
goût de voiler pudiquement les horreurs de Shakespeare
ou de mettre dans la bouche des héros d'Homère les inter-
minables périodes qui ont illustré Bitaubé. Pour cela
faire, on avait la périphrase, qui remplacçait avantageu-
sement la nature, et sauvegardait la susceptibilité ner-
veuse des beaux diseurs de l’époque ; en un mot, on
s'efforçait d’étouffer sous un air d’épinette le hennisse-
ment superbe de Pégase victorieux.
Mais alors il y eut révolte chez le bon sens. Du sein de
la seconde Renaissance, au parcours de cette nouvelle
marche en avant, qui entraina les esprits vers la liberté
et la vérité, sortit un vibrant appel à la fidélité ‘dans la
traduction. Chateaubriand qui venait de lever, comme un
signal, au milieu de la décadence classique, sa plume
indépendante ct hardie jusqu'au paradoxe, se mit à la
tête de ce mouvement insurrectionnel, en l’exagérant,
sans doule, comme il arrive toujours lorsque, sans avoir
conscience de sa force, on a pris un trop vigoureux élan,
mais en laissant derrière lui la route désormais tracée.
Ce fut à qui sonderait les auteurs anciens; dans les camps,
dans les ambassades, dans ioutes les classes de la société,
on travailla avec une mémorable ardeur à cette œuvre de
restauration ; un roi, connu par ses goûts littéraires,
semble, en traduisant Horace, avoir obéi à l'impulsion
générale non moins qu'aux tendances d’un esprit enclin
à la satire. Et l’on découvrit tout un monde inconnu
jusque-là, perdu qu'il était dans les brouillards de la
routine. Talma chassa enfin de la scène tragique les
Grecs à talons rouges et les Romains à panaches, dont
le costume respectu:usement conservé par la tradition
du vestiaire, perpétuait devant la rampe le travestisse-
— 173 —
ment du Roi-Soleil. Et l’on vit enfin le traducteur repro-
duire exactement la pensée, imiter dans la mesure du
possible le style de l'original, construire la phrase sur le
plan du modèle, maïntenir à chaque mot sa place, à
chaque trait son rayon. On posa les règles absolues de ce
travail et l’oa se tint pour dite cette maxime fondamen-
tale : « Que les erreurs de l’auteur ne doivent pas plus
être rectifiées que supprimées. » C'est un portrait dont le
peintre retrace la ressemblance sans en dissimuler les
défauts sous le fard de la flatterie. L'histoire doit-elle
nous cacher les hontes de Tibère ou les extravagances
de Caligula! Que deviendrait-elle si, comme cerlaines
traductions, elle était expurgée « à l’usage du Dauphin, »
ou d’une société imprégnée d’une préciosité pudibonde !
De même qu’en toute page de l’histoire le plus infime
détail, quand il sert à la cause de la vérité, ne doit, en
aucune circonstance, être sciemment omis, de peur que
que nous ne saisissions pas toules les faces des hommes
et tous les aspects des civilisations ; de même, dans une
traduction, la copie fidèle et littérale du poëte el de
l'écrivain originaux, doil montrer au lecteur dans le loin-
tain des âges, Tibulle ou Properce semant ses vers avec
les roses dans la coupe de la débauche romaine, on
Tyrtée, l’Athénien, animant au combat les cilovens trem-
blants de Lacédémone, découronnés de leur auréole de
bravoure.
Vous plaidez, me direz vous, une cause banale. En
effet, elle est banale ; mais loutes les grandes vérités le
sont, ct cependant elles trouvent loujours des champions
qui, sans être obligés de les défendre, s’éprennent
d'amour pour leur drapeau. Pour moi, je serai satisfait si
— 174 —
j'ai fait admettre comme indiscutables ces deux axiomeas
qui serviront de conclusions à la thèse que je soutiens.
Grâce à la traduction, la littérature française. éclairée sur
le mouvement intellectuel des nations éteintes ou vi-
vantes, a pu s’assimiler, selon le précepte de Du Bellay,
la substance des auteurs anciens ou modernes, sans rien
perdre toutefois de son originalité ni de sa grandeur ;
grâce à la traduction, la langue française, fille de la latine,
a traversé les siècles en s’enrichissant des dépouilles de
l'étranger conquérant, sans rien abandonner de sa natio-
nalité-n1 de son génie.
Toutes deux semblent avoir obéi à une loi parallèle, à
la loi physiologique qui règle la perpéluité des races.
Cette loi veut que les hommes de race guerrière qui
s'implantent par les armes sur le sol envahi, s'ils sont
inférieurs en civilisation aux vaincus, n'en deviennent
réellement les maîtres que par leur alliance avec les
femmes de la race assujettie. Or, il est formellement établi
que le premier né de ces unions ressemble à la mère, et
qu'après quelques générations, le type maternel est le
seul qui demeure, reproduisant à travers les siècles les
traits originels des premiers possesseurs de la terre. C'est
ainsi que l'Austrasien victorieux, disparait devant la
Neustrie soumise ; c’est ainsi que par les caractères du
visage et par le génie de la langue, nous sommes encore,
et nous serons toujours, les fils des Gallo-Romains.
RÉPONSE
DISCOURS DE RÉCEPTION
DE M. RICOUART
Par M. PARIS, Président
MONSIEUR,
Il y a une année à peine, l’Académie d'Arras décernait
dans cette même salle, « à titre de récompense excep-
tionnelle, » une médaille d’or à l’auteur de la traduction
en vers des Astronomiques de Manilius,'et vous éliez pro-
clamé lauréat. Une distinction plus haute vous était
réservée : l'Académie vous a admis dans ses rangs. Je
me félicite, Monsieur, après avoir applaudi, comme pré-
sident de cette docte compagnie, à votre premier succés,
d'être appelé par les devoirs de ma charge à vous sou-
haiter publiquement la bienvenue.
Vous aviez droit personnellement à un excellent
accueil. Vous vous êtes ménagé des sympathies plus
— 176 —
vives encore en vous plaçant sous le patronage de
l'homme si distingué dont vous venez d'évoquer le
souvenir. L'Académie vous sait gré d’avoir offert à
M. Maurice Colin, dont vous occupez le fauteuil, un tribut
d'hommages mérité. Elle trouvera de son côté, croyez-
le bien, quelque adoucissement à son deuil, en donnant
au collègue qu'elle regrette un successeur aussi respec-
tueux de sa mémoire.
Sans avoir connu M. Maurice Colin dans toute la vi-
gueur de son activité, vous avez été, Monsieur, mieux
placé que beaucoup d’autres pour apprécier, sous cer-
tains rapports, les éminentes qualités qu'il a révélées
dans les fonctions aussi importantes que variées dont
l'avait investi la confiance de ses concitoyens, vous qui
collaborez à l'administration des affaires de la cité,
que M. Colin a dirigées avec tant de fermeté et d'intelli-
gence; vous qui, suivant sa trace, savez accorder aux
livres une partie des loisirs d’une retraite studieuse.
Vous retrouverez ici le vivant souvenir de M. Maurice
Colin. Les traditions qu'il a laissées peuvent servir d’exem-
ple aux meilleurs. |
Votre modestie se demande quels titres vous désignaient
à la bienveillance de l'Académie. Nous n'avions que
l'embarras du choix : le savant s’unit en vous au lettré;
les connaissances que vous avez acquises en chimie, en
histoire naturelle, vous permettaient de prendre place
à côté de ceux de nos collègues qui honorent à la fois
l’Académie et notre école de médecine et de pharmacie.
Mais vous avez su attirer notre attention sur des travaux
d’une autre nature, et vous présentez à votre aclif un vo-
lume de cinq mille vers, que vous appelez, en restant
— 177 —
lrop au-dessous de la vérité, « un essai de traduction
fidèle. » Après avoir couronné l’œuvre, l’Académie aurait
pu dire à l'ouvrier: Non bis in idem; elle a mieux aimé
vous appliquer cette autre maxime: Bis repetita placent,
et manifester d'une manière éclatante quel prix elle
attache à une œuvre purement littéraire que l’amour de
l'art vous a seul porté à entreprendre.
Quel autre attrait que celui des beaux vers a pu vous
déterminer, en effet, à consacrer aux Astronomica de
Manilius «ce travail patient, fruit de tant de veilles » (1)?
Ce n’est pas la renommée de votre poète qui vous a attiré.
On ne sait presque rien de sa vie. Simple affranchi, comme
Térence, Syrien d’origine, avait-il pour prénom Marcus ou
Antiochus? Étail-il le même personnage que ce Manilius
qui, par ordre d’Auguste,dressa dans le Champ de Mars
cet obélisque de soixante-dix pieds de hauteur, dont
l'ombre, se projetant sur des lames de bronze incrustées
dans le marbre, servait à marquer les heures? Les érudits
ont agité ces questions, sans les résoudre. L'œuvre même
de Manilius — je parle du poème et non de l’obélisque —
a été perdue pendant quatorze siècles, et peut-être est-ce
le temps écoulé avant la découverte du manuscrit, trouvé
au xv° siècle par le Florentin Le Pogge, qui a servi Mani-
lius beaucoup mieux que ne l'aurait fait une comparaison
moins tardive avec les poèmes didactiques de Lucrèce et
de Virgile.
Le sujet traité par l’auteur des Astronomiques n’était
pas fait non plus pour vous séduire. Scaliger, il est vrai,
qui publia trois éditions de Manilius, a pu dire, avec l’en-
(1) Rapport de M. Wicquot.
42
ie — | |
thousiasme d’un érudit et à une époque où l'astrologie
était encore en faveur : « Ecoutons le cygne ; rien de plus
divin, de plus abondant, de plus sérieux, de plus agréable
que ses chants; à part quelques redondances, l'ouvrage
est parfait. » Votre jugement a trop de mesure pour que
vous n'ayez pas rabattu de cet éloge : « Sauf en quelques
épisodes où l’on retrouve avec bonheur l'élégance de
Virgile et l'abondance d'Ovide, le poème, hérissé de
détails techniques, de calculs assez mal déduits, de théo-
rèmes astrologiques, où l'inanité du but se confond avec
l'obscurité de la démonstration, n'offre au traducteur
qu'une séried'obstacles presqu’insurmontables. » J'adhère
d'autant plus volontiers à votre appréciation, Monsieur,
que jai éprouvé cette même impression, lorsque j'ai lu
pour la première fois, convié par vous, les cinq livres
des Astronomiques. En parcourant le monde sidéral de
Manilius, égaré que j'étais dans les combinaisons puériles
du poête astrologue, je me suis rappelé le Fiat lux d’une
puissance créatrice bien différente de son Univers-Dieu,
et les merveilleuses découvertes à l’aide desquelles la
science moderne nous a permis de plonger un regard sûr
dans l'infini des cieux et de répéter avec le psalmiste :
Cœli enarrant gloriam Dei.
Manilius est du siècle d’Auguste ; il nous l’apprend lui-
même, avec cette hyperbole de flatterie dont les poètes
ont usé trop souvent et usent encore envers le maitre,
qu'il s'appelle Peuple ou César :
Toi seul dans mes efforts pourras me soutenir,
César, de la patrie et le prince et le père,
Qui sous d’augustes lois régis la terre entière,
Qui, Dieu comme ton père, as le droit d’aspirer
À ce Ciel qu’il habite. .…
.— 1979 —
Menilius appartient à l’âge d’or de la littérature : la
pureté de son style révèle un contemporain de Virgile et
d'Horace. Vous avez été séduit, en vous attachant à ses
pas, par les charmes de la muse antique. Je soupeonñe
aussi que les Astronomiques vous offraient le prestige de
l'inconnu. Porté par vos études de prédilection vers la
poésie didactique, vous auriez peut-être craint de grossir
le nombre des traducteurs des Géorgiques et du poème
de la Nature? Votre traduction en vers de Manilius, la
première qui ait été tentée, présente au contraire la saveur
de l'originalité.
Il nous faut du nouveau.
Je n'ai point à faire l’éloge de votre traduclion. Un
rapporteur autorisé s’est acquitté de cette tâche: il me
suffira de rappeler ici les conclusions de M. Wicquot.
Après quelques réserves au sujet des libertés que vous
vous êtes permises, autorisé par nos poètes contempo-
rains, envers le classique hexamètre, notre collègue
conSlatait « que vous n'aviez pas trop présumé de vos
forpes ; que vous étiez sorti de la lutte avec un véritable
succès. — Je ne crains pas de l'affirmer, poursuivait-il, ce
sera un vrai plaisir pour ceux qui ne peuvent lire le Lexte
latin de trouver une traduction qui leur donne si exacte-
ment l’idée, sans leur faire perdre la musique des vers.»
L'Académie, en consacrant aujourd’hui ce jugement
avec plus de solennité, vous montre qu’un seul travail bien
fait l'emporte, à ses yeux, sur de nombreux essais. Elle
vous associe, en quelque sorte, à la renommée de votre
Manilius. À ceux qui seraient tentés d’objecter que vos
titres ne datent que d'hier, elle rappellerait cette anec-
— 180 —
dote: c'était en 1772; le traducteur des Géorgiques venait
d’être élu à l’Académie. Le duc de Richelieu remontrait
au roi que Delille était bien jeune pour mériter un tel
honneur. Il oubliait que, sans autre titre que sa qualité
de grand seigneur, il avait été nommé académicien au
même âge. « Trop jeune, s’écria un prélat, enthousiasle
des Géorgiques ! Delille trop jeune! Il a près de deux
mille ans ; il a l’âge de Virgile. »
C'est ainsi que l’Académie d'Arras vous accorde, toute
proportion gardée, la faveur que rencontra sur un plus
grand théâtre le traducteur de Virgile, et elle répond
ainsi d'avance à la question que vous avez posée dans le
discours auquel le public — un public de connaisseurs —
vient d’applaudir si vivement : traduire un auteur latin,
est-ce faire une œuvre utile? Oui, certes, Monsieur,
quand on le traduit comme vous.
Oui, c'est faire une œuvre utile que de bien traduire
un de ces auteurs, un de ces maîtres, que les lettrés de
tous les pays appellent, avec un sentiment d’admiration
qui tient du culle: les Anciens ! Nous ne saurions trop
tôt nous habituer à vivre dans le commerce familier des
grands écrivains d'Athènes et de Rome. L'étude appro-
fondie des modèles inimitables que nous a laissés l’anti-
quité nous initiera à l'amour du beau. Cette étude n’est
pas seulement un hommage rendu au génie des temps
reculés ; «c’est à la fois, dit un critique, une féconde ins-
piration du génie qui veut briller à son tour. » Virgile
et Cicéron doivent beaucoup de leurs perfections à
l’étude d'Homère et de Démosthène. Racine, Corneille et
Boileau méditaient jour et nuit les chefs-d'œuvre anti-
ques. Fénélon semble avoir emprunté à ces temps glo-
— 181 —
rieux les formes séduisantes de son langage. Bossuet,
qui fut si original dans sa puissance, étudia pourlant le
secrel de l'éloquence antique.
Sachons donc le latin, dirai-je avec vous, Monsieur; et
j ajouterai, sachons aussi le grec. Que l'étude des langues
anciennes reste la base de noire enseignement national.
Avant d'appliquer les facultés de l'esprit à un but spécial
et déterminé, développons ces facultés à l'unisson; for-
mons des hommes. Pour atteindre ce but, les méthodes
peuvent varier ; elles ne sont que des instruments. Avec
vous, Monsieur, je constate que l'habitude de traduire
une langue nous en révèle les secrets, et que l'écrivain
qui se livre à cet exercice acquiert ainsi deux qualités
inappréciables : la justesse des termes et la sobriété de
l'expression. Qu'on n'objecte pas qu’un pareil travail
convient seulement à l'apprenti qui est encore sur les
bancs. L'auteur des Essais a bien pu dire : « Ami lecteur,
ie suis moy mesme la matière de mon livre.» Montaigne
est le compagnon assidu des anciens. Les textes grecs el
latins abondent sous sa plume et prêtent à sa verve gau-
loise, en se fondant dans l'unité du style, une saveur
inexprimable. — Boileau n'a-t-il pas traduit le Traité du
Sublime? Racine n'a-t-il pas mis en français les hymnes
de l’église et des fragments du Banquet de Platon et de la
Poétique d’Aristote ? Corneille n'’a-t-il pas consacré les
derniers accents de sa muse à rendre en vers dignes de
l'auteur du Cid le livre de l’Imitation?
Nous sommes d'accord pour reconnaitre l’ulilité de la
traduction; vous me permettrez cependant, Monsieur,
de me montrer moins sévère que vous pour le système
d'enseignement des langues suivi par l’Université de
— 182 —:
Francé. Les hommes qui s'étaient formés à cétte école ne
se contentaient pas de « recoudre péniblement, à l’aide
d’un fil grossier, les harmonieux débris pillés dans les mo-
dèles antiques.» Cujas et Pothier, Bossuet et le bon Rollin,
tant d'autres encore élaient certes des latinistes que les
écrivains de l’ancienne Rome n'auraient pas désavoués.
Si l’on apprenait autrefois à écrire, à parler en latin aussi
aisément qu'en français, c’est que le latin était alors la
langue de la science, la langue universelle. Il n’en est plus
ainsi, et certains procédés d'enseignement nous semblent
surännés. Avant de les proscrire d’une manière absolue,
attendons que les nouveaux programmes aient fait leurs
preuves. Heureux, si nos fils se présentént aussi bien
armés que l’élaient nos devanciers, dans cette lutte que
vous les conviez à soutenir, au hôm du bon goût, contre
la substitution « du jargon de la Cour des Miracles au lan-
gage du grand siècle. »
Je ne vous suivrai pas, Monsieur, dans les recherches
curieuses auxquelles vous vous liv'ez pour établir quelle
a été, aux diverses époques de notre hisloire, l'influence
des langues anciennes sur la littérature française : vous
venez de nous montrer combien ces questions, traitées
souvent, et à des points de vue divers, par les maitres
de la critique, vous sont familières. Je conclurai vo-
lontiers avec vous — et avec du Bellay — que le latin
a servi constamment de tuteur à la langue française.
J'aime mieux retenir, pendant quelques instants en-
core, l'attention de l’Académie sur les réflexions
_ judicieuses que vous consacrez à comparer les divers
systèmes de traduction. Ce sera le moyen de ne pas
perdre de vue le traducteur de Manilius, en examinant
— 183 —
ses théories, après avoir loué l'application qu’il en a
faile.
Traduire, ce n’est pas seulement substituer des mots
à d'autres mots ; le travail est plus complexe; il consiste
à faire passer le génie d’une langue dans une autre.
C'est en se mettant à l’œuvre qu’on en constate les
difcullés. Les différents idiômes n’ont pas les mêmes
mots, les mêmies lours de phrase pour rendre les mêmes
idées, et il est souvent impossible de trouver à un terme
un terme équivalent. Ces obstacles matériels ne sont rien
en comparaison de ceux que l'on rencontre, lorsqu'on
s'attache à conserver à l'original sa physionomie propre.
Avec une grande justesse de vues, vous mettez en pré-
sence les deux systèmes opposés auxquels les traduc-
teurs se sont attachés, selon qu'ils préféraient ou l’esprit
ou la lettre. — Rendons, avant tout, le sentiment général
de l’œuvre, disait-on avant notre siècle, et oubliant que
traduire n’est pas créer, on fit longtemps parler et penser
en français Homère et Virgile, Dante et Shakespeare.
C'est à ce genre de traduction que Montesquieu pensait
assurément, lorsqu'il disait :« Les traductions sont comme
ces monnaies de cuivre qui ont bien la même valeur
qu'uue pièce d'or, et même sont d’un plus grand usage
pour le peuple; mais elles sont toujours faibles et de
mauvais aloi. » On à renoncé, de nos jours, à défigurer
les auleurs pour les faire mieux connaitre, et la repro-
duction exacte du modèle est devenue la règle des tra-
ducteurs. Mais le poëte l’a dit :
Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire.
Nous avons vu des traducteurs n’avoir qu'un scrupule:
— 184 —
la substitution d’un mot à un mot; nous en avons vu
pousser l’amour de la ressemblance littérale jusqu'à
calquer le rythme du vers et à en contrefaire le méca-
nisme. [ls oubliaient ce qu'a si bien dit Villemain : « Le
mot à mot, quand il contrarie le cours naturel de notre
langue, est la pire des traductions. »
Entre ces deux théories, placées à deux pôles opposés,
vous faites, Monsieur, un choix fort sage. — Vous ne
prenez parti ni pour Bitaubé paraphrasant Homère, ni
pour Chateaubriand décalquant Milton; vous n’admettez
ni travestissement de l'original, ni servilisme littéral ;
vous préférez vous établir dans ces régions tempérées
qu'habite la vérité.
Je vous félicite une dernière fois, Monsieur, de l’appli-
cation heureuse que vous avez faite d’une méthode dé-
pourvue de tout esprit de système. Le traducteur de
Manilius, devenu membre de l’Académie d’Arras, se sou-
viendra, nous l’espérons, qu'il a débuté par un coup de
maitre, et que succès oblige.
RAPPORT
sur Île
CONCOURS D'HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE
par
M. LE CHANOINE E. VAN DRIVAL
Secrélaire-Général.
——#t———
MESSIEURS,
Une question très-intéressante pour la ville d'Arras a
été inscrite au Programme de vos concours dès le mois
de juillet 1873 : elle se formulait ainsi:
Rechercher ce qui concerne l'historique des deux Places
d'Arras, les décrire, en juger le style, en dire la prove-
nance. Joindre des dessins au travail écrit.
Cette queslion était si difficile, si complexe, qu'il fallait
du temps, beaucoup de temps pour la résoudre. C’est
ainsi que vous en avez jugé, en remettant avec une persé-
vérance très-significative, la même question au concours
depuis six ans. C'était dire aux concurrents: travaillez
avec soin, l’Académie compte sur vous.
Votre confiance a été juslifiée, Messieurs, et nous avons
reçu, en réponse à cette question, non pas un volume,
mais une série de volumes, tout un grand travail composé
— 186 —
de quatre manuscrits reliés, in-4°, et d’un immense album
aussi relié, grand in-folio, comprenant 181 planches,
partie en photographies, partie en dessins originaux pris
sur les monuments, partie en reproduction d’anciens
dessins, dont quelques-uns extrêmement rares, le tout
complété par plusieurs grands plans.
La question a donc été examinée avec tout le soin
possible et traitée d’une manière :rès-sérieuse. J'ajoute,
au nom de votre Commission, qu'elle a été bien traitée.
Nous ferons tout de suite nos réserves au sujel de
l'archéologie, trop négligée, comme nous le dirons plus
tard ; mais aux points de vue historique et descriptif, le
travail est absolument complet.
Dans votre question, il y avait trois points à traiter :
l'historique des Places, le style et sa provenance, la des-
cription. L'auteur du travail considérable dont j'ai à
vous rendre compte a suivi cet ordre d'idées : il a con-
sacré un volume à la première partie, un volume à la
seconde, deux volumes et l’album à la troisième.
Dans le premier volume, Hisloire des Places, il re-
monte à l’origine de l’Abbaye, montre le grand monas-
tère de Saint-Vaast formant peu à peu la ville actuelle
d'Arras, lui donnant littéralement l’existence. Comme
dès le xu° siècle, dans notre Guimann, elles sont dési-
gnées sous les noms de Grand-Marchéet de Petit-Marché,
l’auteur disserte sur l’idée même de marché, examine les
conditions de l’xyopa comme celles du Forum, pose des
principes qui vont lui être utiles pour la dissertation du
second volume, et relate ensuite l’histoire de toutes les
constructions que l’on voyait sur les deux places d'Arras.
C'est ainsi qu’il note l’hôtel de ville et ce qui l’a pré-
— 187 —
cédé, la halle échevigale; c’est ainsi qu'il pärle de la
Sainte-Chandelle, de la Maison-Rouge, des Pierres du
grand-marché et de celles du petit, de l’énigmatique
Pollaine, de la croix de grès, des perrons, puits, etc. etc.
Il donne les noms des maisons principales dès le
xr1° siècle, puis il insère en entier, textuellement, les
ordonnances et placards concernant l’ordre de bâtir
partout sans lacune, de bâtir les façades en pierres ou
briques, enfin de suivre un plan uniforme. Nous avons
ainsi maintenant tout ce que l’on pourrait appeler la
législation spéciale des Places d'Arras, depuis les pre-
miers règlements de l'Echevinage jusqu'aux édits de
Charles-Quint et de Philippe IT.
[es faits dont ces Places ont élé les témoins sont
ensuite racontés. Ils forment une histoire d'Arras depuis
le xrrr° siècle jusqu'au xrxe. On assisie aux fêtes de la
Sainte Vierge et aux tournois ; on est témoin des trou-
bles nombreux dont Arras fut la victime, et on a devant
les yeux le lugubre spectacle de bien des exécutions
capitales. Puis ce sont des théâtres d'opérateurs en plein
vent qui viennent solliciter votre attention ; puis brillent
les feux de joie, que remplacent bientôt les feux d’arti-
fices : aucun fait n'est oublié, et l’on peut suivre ainsi
l'histoire animée d'Arras sur ses Places, aux temps de la
mêère de Baudouin de Lille, commé à ceux d'Albert et
Isabelle, jusqu'à 1864 et 1876, dernières solennités dont
ces Places furent témoins. |
Je ne vous ai donné qu'une idée assez incomplète de
ce premier volume ; mais il me tarde d'en venir au
second, qui traite une question considérable, la plus im-
poftante du travail,
— 188 —
D'où vient le style des Places d'Arras ?
Cette question, posée par vous il y a six ans, Messieurs,
a fait travailler un peu partout: elle est en effet nouvelle
et assez obscure, digne des efforts de ceux qui aiment à
connaître la raison des choses. C'est ainsi qu'il y a deux
ans, à la Sorbonne, M. l'abbé Dehaisnes s’est occupé de
l'architecture des Places d'Arras et a nié l'influence espa-
gnole qu'on leur attribuait dans la lradilion populaire.
Selon M. Dehaisnes, les Espagnols ne sont pour rien
dans ce style : pas un seul des noms de constructeurs
et d'architectes qu’il a relevés avec soin et dont il a
dressé des listes, non pas seulement pour Arras, mais
pour le Nord de la France et les Pays-Bas, pas un de ces
noms n'est espagnol, tous sont des noms d'habitants du
pays. M. Dehaïsnes croit que ce style vient d'Italie, de
Rome, et que l’église du Gesù est l’archétvpe de ce
genre de constructions. Reprenant la question et l’exami-
nant avec le plus grand soin, l’auteur du présent travail
commence par la diviser en deux sections parfaitement
logiques. Il y a, dit-il, deux éléments dans ce sujet: les
galeries et les façades. C'est quand on aura obtenu une
juste idée des unes et des autres qu'il sera possible de
décider de l’ensemble.
D'où viennent les galeries ? D'où viennent les façades ?
Les galeries, si nous en jugeons par les extraits des
mémoriaux, actes de ventes, papiers anciens, et aussi
tableaux anciens, les galeries n’ont pas toujours été des
arcades en pierres comme nous les voyons aujourd'hui.
Les galeries étaient formées par des poutres, par des
piliers en bois, soutenant l'avancée ou saillie des façades
également construites en bois. À quoi servaient ces gale-
— 189 —
ries en bois? Evidemment elles servaient à exposer en
vente les marchandises, à recevoir les acheteurs, à leur
permettre même de circuler à l'abri de la pluie. On voit la
même chose dans mainte rue de mainte autre ville, au
moyen-âge. Les façades des maisons avec pignons sur
rue avançaient à partir de l'étage et surplombaient très-
souvent au-dessus de la chaussée, rétrécissant encore
les rues étroites et fournissant, sur les marchés, une
sorte de bazar, sans lacune ni interruption.
Il ne faut donc pas aller en Espagne ou dansles autres
pays chauds chercher une raison à ces déambulatoires.
À Arras, il n’a jamais été nécessaire de chercher habi-
tuellement un refuge contre la chaleur : le refuge contre
la pluie, pour les marchandises et pour lesacheteurs, est
beaucoup plus explicable et plus vrai. Si donc l’admira-
ble série de galeries qui commence à la rue Saint-Géry
pour suivre la Petite-Place, la rue de la Taillerie, la
Grande-Place, la Porte Saint-Michel, et revenir par l’autre
côté de la Grande-Place, de la rue de la Taillerie et de
la Petite-Place, à l’ancien marché de la Garance, qui
rappelle nos Tapisseries d'Arras; si, dis-je, cette admi-
rable galerie rappelle un immense atrium ou cloître
abbatial, elle n’a rien de commun avec les abris contre
le soleil, que l'on cherche, du reste, sans les trouver
clairement, soit en Espagne, soit en Italie.
Quant aux façades, leur mode de construction et de
décoration vient pour beaucoup, selon l’auteur, des
divers matériaux qui ont successivement servi à les
construire. |
Avec le bois et la brique, on a eu les pas de moineaux
ou les redents; avec la pierre, on a pu facilement avoir
— 190 —
les courbes et les volutes ou consoles qui oni succédé
aux redents. À l’aide de dessins authentiques et com-
parés avec beaucoup de sagacité, l'auteur explique sa
pensée et la précise d’une façon très-claire. Puis il aborde
la question essentielle des dates.
Dès 1531, il trouve à Gand, dans la Maison des Bate-
liers, un exemple de ces pignons à lignes ondulées ; il
en suil l’histoire à Bruges et ailleurs, aux dates de 1535,
1541, 1550, etc. et il prouve, selon nous, d’une manière
formelle, l’existence de ce style en Flandre, avant la
naissance de la Compagnie de Jésus, et par conséquent
avant la construction de l’église du Gesù à Rome. Il faut
donc renoncer à voir ici l'influence des Jésuites, puisque
les Jésuites n’existaient pas, et comme d'autre part
l'Espagne est mise hors de cause, nous en revenons
purement et simplement à notre propre invention locale,
ce qui est plus digne d'ailleurs, plus patriotique et plus
vrai. On ne comprend rien vraiment à cette habitude
invétérée d'aller toujours demander aux étrangers la
raison d’être de nos coutumes. Depuis deux siècles on
s’écrie :
Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ?
Et pourtant c'est à qui ie premier se soumeltra au
joug: soyons de notre pays, Soyons nous-mêmes, nous
avons assez de titres pour avoir droit à l’existence indé-
pendante, autonome, en fail d'art et d'initiative, dans
ces pays du Nord qui ont donné naissance à tant de
grandes institutions, nous pouvons, sans fausse modestie,
revendiquer hardiment notre place au soleil de l’histoire:
car l'histoire est belle pour nous.
— 191 —
Pardon, Messieurs, de ces considérations, qui naissent
d'ailleurs des entrailles mêmes du sujet : elles nous mé-
nent droit à la conclusion de l’auteur, qui réclame pour
l'architecture de nos Places une origine purement locale,
flamande. Si on peut, à la rigueur, conserver à ce style
quelque chose du mot Espagnol, c’est seulement en ce
sens que ces constructions ont eu lieu principalement
pendant que les Espagnols, comme Ducs de Bourgogne,
gouvernalent ce pays. |
Je n'ai pu que résumer la thèse de l’auteur, en regret-
tant qu'il n'ait pas donné son appréciation de ce style au
point de vue de l'esthétique et je me hâte de passer à la
troisième partie de son travail.
Ici, Messieurs, je suis effrayé et je recule devant ma
tâche. Comment analyser deux gros in-4° et un in-folio
de 181 planches. Comment suivre, un à un, l'inventaire
de 72 maisons à 182 colonnes pour la Grande-Place, de
28 maisons et 54 colonnes pour la rue de la Taillerie, de
57 maisons et 109 colonnes pour la Petite-Place ? Tout y
est, dans cet inventaire. On donne les propriétaires suc-
cessifs, on entre dans les maisons, on examine les cours,
où souvent on trouve les détails les plus curieux, détails
qui ne sont pas assez examinés sous le rapport de l'ar-
chéologie, lacune qui devra être nécessairement com-
blée lors de l'impression. On descend aussi partout dans
les caves et les boves, et là encore on rencontre des
chapiteaux, des arcades, des voûtes, des escaliers, des
galeries et de vastes pièces. Tout cela est décrit, tout
cela est dessiné, tout cela devra être repris en sous-
œuvre au point de vue de l'art.
Sous cette seule réserve, à laquelle il sera facile à
— 192 —
l’auteur de faire droit, nous pensons, Messieurs, que
rarement on a envoyé à l’Académie un travail aussi bien
preparé, aussi complet. Nous vous avons demandé pour
l’auteur la plus grande récompense possible, et vous avez
accueilli la demande de votre Commission en lui décer-
nant une grande médaille d’or.
RAPPORT
sur le
CONCOURS DES SCIENCES
M. PF. LECESNE
Membre résidant.
MESSIEURS,
L'Académie avait, dès l’année 1877, inséré parmi les
Sujets mis au Concours, l'Histoire de l'invention et de
l'exploitation de la houille dans le département du Pas-de-
Calais.
L'année 1878 s’est écoulée sans qu'aucun mémoire
vous ail été adressé. Cette année, un travail et, je me hâte
de le constater, un bon travail vous a été présenté.
Est-ce à dire cependant qu'il réponde entièrement à
la question que vous avez posée ? L'auteur lui-même ne
l'a pas pensé ; il déclare n’apporter qu'une petite pierre
formée de quelques notes pouvant servir à l’histoire de la
houille dans la petite patrie, c'est-à-dire dans le départe-
ment du Pas-de-Calais.
48
— 194 —
L'on doit regretter cette modestie, car les quelques
citations, écrites en lête de ces notes, indiquent un esprit
judicieux, qui nous eût certainement donné une œuvre
sérieuse et complète. Nous n’en apporterons qu’une
preuve: c'est le choix heureux des deux épigraphes qui
résument pour ainsi dire l’histoire de la houille jusqu'à
n0S Jours.
La première est ainsi conçue : Le lüthranthrax est une
matière lerreuse qui brie comme du charbon ; on la trouve
en Ligurie et en Elide, sur la route d'Olympie, au-delà des
montagnes, elle est parfois utilisée par les forgerons.
À cette phrase de Théophraste (Traité des prerres),
l'auteur ajoute cette parole de Robert Peel: « L'avenir est
au pays qui produira le plus de houille. »
Les cinq ligues de Théophraste sont-elles, comme
le dit l'auteur, toute l'histoire de la houille au temps
d'Alexandre (1)? |
Nous n'oserions l'affirmer, car il a dù exister quelque
part, au beau temps de la scolastique. un savant docteur,
pour établir qu'Aristote avait parlé du charbon de
terre” (2).
(4) Théophraste se sert aussi des mots AypouË yauwdns.
(2) Les Chinois, depuis un temps immémorial, exploitent la houille
comme un combustible ordinaire et lappliquent à l'industrie: les
magnifiques porcelaines de la Chine, les très-anciennes surtout, sont
cuites au charbon de terre; dans certaines contrées, les habitants
font descendre des sondes pour extraire le gaz inflammable que les
couches distillent et s’en servent comme d’un moyen de chauffage ou
d'éclairage. Partout existent des approvisionnements de charbon.
Ainsi, à Pékin, dans un jardin de la ville rouge, au nord du palais
impérial, on voit une montagne, en forme de pyramide, qui domine
de plus de cent mètres la ville entière : c’est un gigantesque amas
— 195 —
Des Grecs, passons aux Romains. On peut croire qu'ils
ont connu la houille. En effet, dans ces provinces si
belles des deux Belgiques et des deux Germanies, plus
romaines, aux derniers temps de l’Empire, que Rome, de-
venue le refuge des aventuriers du monde entier, le
charbon se rencontre à fleur de lerre. En Provence, le
canal romain de Fréjus coupait tout le terrain carboni-
fère de l’Estérel; dans la Loire, l’aqueduc romain qui
amenait à Lyon les eaux du Gier, passait à travers les.
gisements de charbon. Est-il à supposer que l'esprit pra-
tique et positif des dominateurs du monde ait laissé celte
richesse sans emploi ? Cependant la plus grande confusion
règne dans les textes. S'il est certain que l'anthracite, le
lignite, la tourbe, le bitume et la houille, ont été brülés
par les Romains, ‘il est facile de voir qu'ils n'ont jamais
su les distinguer. Pline, entre autres, rapporte que le
bitume se présente sous deux aspects : d’abord dans cer-
lains endroits, sous forme de limon {{imus), comme celui
que l’on extrait du lac de Judée ; ensuite, dans d’autres,
sous forme de terre f{lerra), comme celui que l'on trouve
aux environs de Sidon. Les deux espèces, dit-il, s’épais-
sissent et forment une matière solide et inflammable (1).
de houüle, de plus d'un million de mètres cubes. Suivant la tradi-
tion, un empereur le fit élever pour fournir le chauffage de la ville,
au cas où, par suite d’un long siège, le combustible viendrait à man-
quer. Cette montagne, recouverte de terre végétale, plantée de pins
et ornée de pavillons élégants, a servi longtemps de but pour les
exercices des archers de la garde et des candidats au brevet de man-
darins militaires.
(1) Pline, liv.xxxv, Lt, 1. Etbituminis vicinaest naturaf{sulphuris/:
alibi Limus, alibi terra ; limus J'udeæ lucu, ut diximus, emergens,
Lerra in Syria circu Sidonem oppidum maritimum.Spissanturh&æc
utraque et in densitatem coeunt.
— 196 —
Le bitume terreux de Sidon paraît ressembler beaucoup
à la houille; mais le même auteur emploie aussi le mot
terra pour désigner la tourbe, dont se servaient les
Chauques, peuple de l'embouchure du Rhin (1).
Quoiqu'il en soit des Grecs et des Romains, on parait
d'accord pour admettre que c’est à Liège, vers le xn° siècle,
que fut trouvé le combustible qui devait renouveler le
monde.
L'an 1198 (?\, sous l’épiscopat d'Albert de Cuick, un
vietllard respectable par ses cheveux blancs et par sa
barbe, couvert d’un habit blanc, passant dans une rue
appelé Coché, rencontra un forgeron qui était à son tra-
vail, et, en homme poli, lui souhaita le bonjour et un
gros gain. — « Quel gain, bon vieillard, lui répondit le
forgeron, voulez-vous que je fasse ; tout ce que je tire
de mon travail, je l'emploie, ou peu s’en faut, à acheter
du charbon de bois, que l’on nomme en français de cokis;
ainsi mon gain ne peut être que très-pelit. » — «Mon ami,
lui répartit le vieillard, allez au Mont-des-Moines, vous
y trouverez à découvert des veines noires d’une terre
très-propre à votre métier » ; après quoi le vieillard dis-
(1) Pline, liv. Xv1, 1, 3 : Captumque manibus lutum ventis magis
quam sole siccantes, terr& cibos et rigentia septentrione viscera sua
urunt. Pline ajoute : « Voilà des nations, qui, si elles sont vaincues
aujourd’hui par le peuple romain, disent qu’on les réduit en escla-
vage et hœ gentes, si vincuntur hodiè à populo romano, servire se
dicunt.
(2) D’après Brustème. 1200, d’après la chronique de Tongres et celle
de Liège. Voir du reste, sur toute cette légende, les Délices du pays de
Liège, t. 1, page 267 et suiv. Elle aurait été empruntée par Brustème
à Gilles d'Orval, en Chapeauville, t. 11, p.191.
— 197 —
parut. Le forgeron courut chercher de la terre et se con-
vainquit par l’expérience que le vieillard avait dit vrai.
Transporté de joie, il alla en faire part à ses voisins;
ceux-ci s'élant à leur tour assurés de la vérité, levèrent
la premiére couche de terrain et, après avoir creusé pen-
dant quelque temps, rencontrèrent des pierres de la même
couleur, trés-propres de leur nature à faire du feu. Le for-
geron s'appelait Hulloz Plenneval. C’est de son nom que le
charbon se serait appelé Houille, Hulla, Hylla, Hyllae.
La simplicité de cette légende lui donne un certain
caractère de vérité : le merveilleux ne manqua pas de s’y
ajouter. Nul doute, a-t-on dit, que le vieillard ne fût un
ange. Mais l’érudition ne respecte rien. D'abord, un
savant (1) prétendit que les copistes avaient pris un mot
pour un autre, angelus, qu'on lit réellement dans les
manuscrits [our anglus (2); le messager du Ciel n'aurait
donc été, tout simplement, qu’un voyageur anglais. Le
même savant ajoute que les mines de charbon étaient
déjà exploitées en Angleterre en 1145. Celle opinion
excita les colères des Liégeois, qui écrivirent beaucoup
de pages pour la réfuter, et prouver qu'ils avaient sur
les Anglais l’antériorité de la découverte. D'un autre côté,
la gloire d'avoir donné son nom au charbon ne resta
pas à Hulloz Plenneval: l'existence de ce forgeron fut
même révoquée en doute, et Ducange soutint que le mot
houille venait d’un mot saxon, qui signifiait charbon (3).
(1) Le P. Bouillé.
(2} Ce serait, retourné, le jeu de mot du Pape, qui, voyant à Rome
des esclaves anglais (angli], aurait dit: « Ce seront des anges
{ungeli), » et envoya des missionnaires en Bretagne.
(3) M. Littré, Dictionnaire, mot houille, dit que l’étymologie est
inconnue. :
=, ON:
La houille forma bientôt la richesse du pays de Liège,
qui, pendant plusieurs siècles, en exporta des quantités
cohsidérables dans les provinces voisines. Une juridiction
presque aussi ancienne que l'invention du charbon, les
jurés du charbonnage, était chargée de décider les con-
testations en cetle matière, et l’on connaît un édit de
l'Empereur Maximilien IT, daté du 21 juillet 1571, qui a
minutieusement réglé la procédure et l'appel des sen-
tences de ce tribunal.
Il est assez curieux de rapprocher cet édit de la légis-
lation de Henri IT, sur la matière. L'auteur de notre mé-
moire rappelle que les docteurs de la Sorbonne condam-
nérent le noir combustible, pour ses vapeurs sulfureuses el
malignes. Au premier abord, on serait tenté de reléguer
cette décision dans le domaine de la fantaisie; cependant
son existence est parfaitement attestée dans un ouvrage
sur la houille, qui est devenu classique et populaire. (1).
Malheureusement, cetle sentence amena un édit du
roi, faisant défense aux maréchaux-ferrants d'employer
le charbon de terre, sous neine de prison ct d'amende.
Deux cents ans plus tard, les Parisiens n’élaient pas en-
core revenus de leurs préventions. En effet, dans l’année
1774, vu la rareté et la cherté du bois, on fit venir à Paris,
aux ports Saint-Vaast et de l'Ecole, quelques bateaux de
charbon qui se débitèrent assez bien. Cette fois, les mé-
decins faisant partie des Académies de médecine el des
sciences, donnèrent un avis favorable. Mais bientôt l'on
remit en avant la malignité des vapeurs du charbon : on
l’accusa de vicier l'air, de jaunir le linge, de provoquer
(1) La Houille, p. 53, par Tissandier.
— 199 —
les maladies de poitrine et surtout, crime impardon-
nable, d'altérer la fraicheur des visages féminins.
Aujourd'hui on ne proscrit plus la houille, on la pro-
clame le pain de l’industrie.
L'auteur du Mémoire fait remarquer que le monde
entier produit deux cents millions de tonnes de houille,
la moitié fournie par l’Anglelerre, près de dix-sept mil-
lions par la France: Londres seul, brüle en un mois le
chargement d’une flotte de plus de six cents vaisseaux.
Si l’on pense, ajoule-t-il, que celte houille se transforme
en travail dans nos machines à vapeur, qu'elle nous
fournit le gaz d'éclairage, des sels ammoniacaux, les
splendides couleurs d’aniline, de l'acide phénique, de la
benzine, qu'elle réduit le fer dans les hauts-fourneaux,
qu'elle fait courir les locomotives sur nos voies ferrées,
nous répétons avec Robert Peel : Oui, l'avenir est au pays
qui produira le plus de houille!
Nos pères avaient su apprécier tous les bienfaits de
celle richesse minérale. A la fin du xvn° siécle, cent
vingt fosses élaient déjà exploitées par cinq mille ou-
vriers, aux environs de Mons. Aussi, lorsque le traité de
Ryswick, en 1697, vint rattacher à la France la portion
du Hainaut où n’existaient pas de mines de houille, ce
fut, parmi les habitants, un deuil général. Menacés de
manquer de cette précieuse ressource, ils se livrèrent à
d’actives explorations, mais pendant plus de vingt ans,
elles ne produisirent que des résultats négatifs ; enfin, le
3 février 1720, on alteignit le charbon à Fresne, le bassin
du Non était trouvé.
La découverte était duc à l'indomptable énergie d'un
homme qui est resté célèbre, Jacques, V'* Désandrouin.
—- 200 —
Dès 1716, il avait formé une Société pour la recherche
de la houille; ni l’insuccès des premiers sondages, niles
destructions successives de sept fosses par les inonda-
tions, ni des procès incessants ne parvinrent à le décou-
rager et, en 1757, il fonda la Compagnie d’Anzin. La
famille Désandrouin fut l’âme de cette puissante associa-
tion durant tout le xvin* siècle et le commencement du
xix° ; elle la dirigea avec une sûreté de vues étonnante,
malgré l'invasion autrichienne, le pillage des magasins,
l'abandon des travaux, la confiscation prononcée par le
gouvernement révolutionnaire, et la reconstitua lorsque
l'Etat se décida à rendre les fosses, moyennant deux
millions et demi de livres. Le nom de Désandrouin n’est
pas inconnu en Artois: Jacques fut seigneur de Bucquoy,
dans la seconde moitié du xvirr° siècle, et un Désandrouin
constitua par son Lestament du 8 thermidor an 1x, sur
une terre à Hardinghem, une rente de 1,200 francs, au
capital de 24,000 francs, en faveur des ouvriers des fosses
et verreries d'Hardinghem, avec faculté d’en distraire
une partie au profit des pauvres de la commune. Cette
rente vient seulement d'être remboursée par les nou-
veaux propriétaires du domaine, en vertu d’un arrêté du
Conseil de Préfecture, du 15 février 1879. |
À côté de la famille Désandrouin, il est juste de citer
celle des Mathieu, qui l’accompagna sur le territoire
français. Le sondage de Fresne fut commencé en 1716,
par Jacques Mathieu, ingénieur de Charleroy. Après la
réussite des explorations, ce fut lui qui, aidé de ses fils,
inventa, en 1720, le cuvelage avec picotage, pour la re-
tenue des eaux des niveaux, et qui, en 1732, fil la pre-
mière application de la machine de New-Comen. Depuis
— 201 —
cette époque, le nom des Mathieu est lié à toutes les dé-
couvertes utiles à l’industrie houillère.
La Compagnie d'Anzin et la Compagnie d’Aniche, fondée
en 1773, furent les seules qui, avant la Révolution,
purent obtenir dans la Flandre et le Hainaut, des résultats .
fructueux.
Le Boulonnais avait aussi vu réussir ses efforts.
La houille, trouvée à Hardinghem dès 1692, disent
les uns, en 1720, 1730, 1739, disent les autres, étail
devenue l’objet d’une exploitation considérable pour
le temps.
L'Artois n'était pas resté en arrière dans ce grand
mouvement d’explorations. Dès 1741, les Etats de cette
province avaient concédé à une Compagnie Dona, tout le
territoire comprenant Lens et Arras. On élait au centre
de notre bassin houiller, et cependant les travaux |
n'eurent aucun succès. Reprises par le sieur de Villers,
et étendues non-seulement autour d’Arrus, mais à
Pernes, Souchez, Monchy-le-Preux, les recherches furent
toujours malheureuses.
Une Compagnie Willaume-Turner essaya plus tard de
sonder à Rœux, sans plus de résullat. Deux de ses an-
ciens associés, Havez et Lecellier, creusêrent à Fampoux
en 1763, puis à Halloy près Doullens, enfin à Bienvillers
et à Pommiers, en 1765; ils rencontrèrent, dit-on, le
terrain appelé Tourtia, c’est-à-dire le terrain en contact
avec le terrain houiller.
Tant de mécomples ne découragèrent pas les
Etats d'Artois : en 1768, ils prirent la résolution d'ac-
corder 50,000 livres aux entrepreneurs qui seraient
parvenus à trouver une mine de charbon dans la pro-
— 202 —
vince (1); et, en 1778, ils promirent une récompense de
200,000 livres, à celui qui exploiterait le premier, le
charbon cn Artois (2).
Trois Compagnies se mirent à l'œuvre en 1778 et 1779,
Aniche, Anzin et la Société du duc de Guines. Le pays
fut fouilé en plusieurs endroits, de 1781 à 1789 ; nous
ne mentionnerons que les puits de Tilloy et d'Achicourt,
qui furent poussés, mais inutilement, jusqu’au dessous
du Tourtia (3). |
D'aussi rudes leçons arrêtèrent pour longtemps toute
velléité d'exploration dans le département du Pas-de-
Calais ; de plus, les houiïllères belges, devenues françaises,
envoyèrent jusqu'en 1815 leurs produits dans toutes
nos villes. Le bassin d’'Hardinghem conserva seul quelque
activité; le 11 nivôse, an vin, une concession fut accordée
aux sieurs Cuzin, et en 1837 et 1840, deux nouvelles
sociétés s v formèrent. C’est à celle époque que se déclare
une vérilable fièvre de recherches de houilles, motivée
par les immenses succés obtenus dans le département du
Nord, de 1820 à 1834. Les actions houillères deviennent
l’objet d’une spéculation effrénée, analogue à l'en-
gouement dont nous avons eu l'exemple tout récemment.
Celles de Douchv, particulièrement, émises à 2,400 fr.,
moutent à 300,000 francs. On rouvre les anciens puits
creusés de 1735 à 1790: ceux de Pernes, de Monchy-le-
Preux, d'Achicourt, parce qu’on prétend, d’abord, que les
(1) Archives départementales. — Etats, l'' supplément, t. Hi.
(2) Archives départementales. — Etats, Registre aux délibérations
de l’Assemblée générale de 1777.
(3) En 1788, un ouvrier d'Agny, Nicolas Fourmaux, avait été tué
dans les travaux d’Achicourt (Archives de la cure d’Agny).
— 203 —
fouilles y ont été insuffisantes, ensuite, qu’elles n’ont été
abandonnées, malgré des découvertes réelles, que par
suite de l'achat de la Compagnie d’Anzin; le département
se couvre de sondages.
Tous ces efforts furent aussi infructueux que les pré-
cédents et n'aboutirent qu'à des désastres financiers.
Une seule personne conservait encore l'espérance :
M. Dusouich, Ingénieur des Mines, qu'on peut appeler
le père du Bassin houiller du Pas-de-Calais.
S'appuyant sur les données de la science, il continua
à affirmer, avec une inébranlable conviction, l'existence
du prolongement du bassin du Nord. Le hasard vint lui
donner raison. M. Mulot, exécutant, en 1846, un forage
pour fournir de l’eau au parc de Mme de Clercq, à Oignies,
rencontra, tout-à-fait inopinément, le terrain houiller.
L'embellissement d’une propriété avait élé plus profitable
que cent ans de labeurs.
S'emparant aussitôt de ce résullatconsic érable, la Coni-
pagnie de la Scarpe, fondée à Douai, en février 1847,
s’élablit sur une ligne droite reliant Oignies, au dernier
puits de la concession d’Aniche. £a réussite était certaine,
car on avait reconnu le coude brusque des couches vers
le Nord-Ouest, etle charbon fut trouvé en juin 1847. Dés
cet instant on marche de succès en succès. MM. Mathieu
fondent la Compagnie de Courrières, d'après les indica-
Lions du sondage d'Oignies, M. de Bracquemont, celle de
Nœux, M. Casteleyn, celle de Lens.
Les dates des concessions sont curieuses à noter, car
elles s'avancent avec les explorations de l'Est à l'Ouest.
Après Dourges et Courrières, 1852; viennent Nœux,
Lens, Bullv, 1853 ; Bruay, Marles, Ferfay, Auchv-au-bois,
— 204 —
1855 ; Fléchinelle, 1858. Ici l’on est forcé de s’arrêter :
on rencontre les terrains négatifs, et l'espoir d’une jonc-
tion avec le bassin du Boulonnais est ajourné sinon
tout-à-fait perdu. Mais en même temps se poursuit le
travail de délimitation du bassin, au Nord, par les con-
cessions de Vendin, 1857 ; Annœulin, Meurchin, Carvin
et Ostricourt, 1860; Douvrin, 1863 ; au Sud, par celles de
Liévin, 1862 ; Cauchy-à-la-Tour, 1864; Drocourt et Cour-
celles, 1878.
En 1850, le Pas-de-Calais ne comptait que les trois
petiles concessions du Boulonnais ; en 1879, il peut citer
avec orgueil ses vingt nouvelles concessions, et il nous
est permis de dire, avec M. Vuillemin, que la décou-
verte des gisements du Pas-de-Calais est un des événe-
ments qui marqueront, pour la France, la fin du xrx°
siècle, comme la découverte du bassin du Nord avait
marqué la première moitié du xvin°.
Notre beau bassin est-il dès maintenant entièrement
reconnu, et n'a-t-il plus de secrets à nous révéler ? Non,
chaque jour, chaque heure de travail, chaque déception
même, apporte une indication utile. Si, parmi les nom-
breux sondages qui se sont effectués depuis trois ou
quatre ans, bien peu sont arrivés à des résultats pratiques,
les insuccès on! au moins servi à déterminer des points
de repère parfaitement ignorés jusqu'ici. On sait que la
formation houillère du Nord et du Pas-de-Calais, est le
prolongement de l’immense couche géologique qui com-
mence en Westphalie, passe à Aïx-la-Chapelle, et se con-
tinue en Belgique, par Liége, Charlerov et Mons. Elle
entre en France par Condé et Valenciennes et descend du
Nord-Est vers le Sud-Ouest jusqu'à Douai ; là, elle faitun
— 205 —
coude brusque vers le Nord-Ouest, (ce coude qui fut la
cause de tant de déceptions, car on s’obstina longtemps
à suivre la direction Nord-Est — Sud-Ouest) ; puis elle
remonte jusqu'à Lens et Carvin, s’avance alors de l'Est à
l'Ouest, par Béthune, pour disparaître à Fléchinelle ; elle
se retrouve enfin dans le bassin du Boulonnais, qui est
_ comme l’avant-garde des riches bassins de l'Angleterre.
Cette immense vallée de 420 kilomètres de long, dont
60 dans le Pas-de-Calais, offre d’abord une largeur de
8 à 12 kilomètres, pour se rétrécir ensuite, jusqu à
quatre et même un kilomètre. Elle a été remplie par
des dépôts successifs de schistes et de grès houillers,
allernant avec des couches de houille, dont l'épaisseur,
dans le Pas-de-Calais, varie de 0",50 c. à 3 mètres. Puis
des terrains plus modernes, la craie, les terrains ter-
tiaires, les alluvions, se sont déposés sur une profondeur
qui, de 45 mètres 50 à l'Est, atteint à l'Ouest jusqu'à
200 mètres. Les limites de cette vallée sont tracées au
Nord par le calcaire carbonifère, au Sud par le terrain
dévonien. :
Mais bien des accidents ont modifié la régularité des
couches : ils sont antérieurs ou postérieurs à la période
houillère, soit même contemporains ; ils ont donné aux
terrains une inclinaison générale vers le Sud, et cette
allure en zig-zag qui a causé souvent le désespoir des
exploitants.
Au nombre de ces accidents, le plus important est la
faille de renversement que l’on rencontre au Sud du
bassin. Pendant longlemps on avail cru que l'afflenre-
ment des terrains dévoniens marquait la limite défini-
tive du terrain houiller ; mais, en 1862, il fut matérielle-
— 206 —
ment constaté à la fosse de Cauchy-à-la-Tour que ce
terrain était recouvert au midi par des couches plus
anciennes. Toutefois la conclusion n’apparut bien clai-
rement que dix ans plus tard, par suite des sondages
des Compagnies de Liévin et de Courrières; depuis cette
époque. les Compagnies de Courcelles, d'Auchy-au-Bois,
de Liévin, de Béthune et de Drocourt ont découvert le
terrain houiller sous des calcaires carbonifères et des
terrains dévoniens dont l'épaisseur a atteint jusqu'à
291 mètres. La Compagnie de Drocourt, notamment, a ses
ailes placés tout entiers au-dessous des terrains négatifs.
Au premier abord. un semblable résultat paraît démentir
tous les principes géologiques et attaquer, dans sa base
même, l'ordre de succession des couches; iln'en estcepen-
dant que la confirmation la plus éclatante. En effet, ce ren-
versement est dû à une pression d'une violence inouïe qui
a forcé les couches inférieures à se relever et à se rabattre
sur la formation houillère, et, chose curieuse, à travers
leur bouleversement même, on peut retrouver l'ordre
dans lequel elles se sont déposées. C'est là, comme l'a
dit, M. Duporcq, l'accident géologique le plus important
pour le bassin, au point de vue de ses richesses, et de
l'extension possible de ses explorations au Midi.
Pareille surprise heureuse viendra-t-elle se produire
de nouveau, soit encore au Sud, soit au Nord, soil à
l'Ouest ? Il y a là pour les explorateurs de l'avenir, un
vaste champ d'études, d’espérances, et peut-être, de dés-
illusions !
L'auteur du Mémoire qui vous est soumis, n'a traité ni
l'histoire, ni la constitution géologique du bassin. Son
travail s’est borné à la statistique. La méthode adoptée
— 207 —
par lui est celle des tableaux et des courbes. qui est
aujourd'hui d’un usage général. |
Elle a le mérite de supprimer ces inlerminables co-
lonnes de chiffres qui rendaient les recherches si difficiles,
et de permettre à la personne, même la moins familiarisse
avec les calculs, de trouver d’un seul coup-d'œil le ren-
seignement dont elle a besoin.
L'exécution graphique des tableaux est très-remar-
quable: les lignes, finement tracées par une main habile,
conduisent sans efforts au résultat désiré; tout est clair,
précis, mathématique en un mot.
Quant aux courbes et aux cartes, elles ont été dressées
d'après les documents officie:s publiés par le Ministère
des Travaux Publics, et d'après les nombres indiqués dans
les rapports des préfets au Conseil général el dans les
Annuaires du Pas-de-Calais; les renseignements sont donc
d'une rigoureuse exactitude.
Chaque tableau est de plus accompagné de notes
courtes et substantielles, destinées à mettre bicn en
lumière les conclusions qu'on peut tirer de son étude.
C'est un excellent procédé pour fixer dans la mémoire
du lecteur le point principal qu’il doit retenir.
Mais puisque l’auteur bornait ses notes à la stalistique,
il aurait dù la donner complète. Malheureusement cer-
taines matières, telles que Îles salaires des ouvriers, le
prix de vente des charbons, le mouvement sur les che-
mins de fer elles canaux, la valeur des capilaux engagés,
ont été négligées; elles auraient fourni des tableaux très-
intéressants, dans lesquels l'auteur aurait pu prendre
pour guide le savant ouvrage de M. Vuillemin.
Six tableaux vous sont présentés.
— 208 —
Le premier résume l’industrie houillère dans toute la
France, depuis 1787 jusqu'en 1878. Il se compose de
quatre courbes : la première, indiquant la production et
l'importation réunies; la deuxième, la consommation ; la
troisième, la production et enfin la quatrième, la produc-
tion de la houille dans le Pas-de-Calais. On y voit qu’en
1878 notre département a produit autant de houille que
la France en 1844, ou encore que la consommation totale
de la France en 1836 ; dans la même année 1878, la pro-
duction du Pas-de-Calais a atteint les vingt-deux cen-
tièmes de la production totale de la France. Cette pro-
duction de 1787 à 1878 s’est accrue de 1 à 85, tandis que
de 1787 à 1872 la consommation n’a augmenté que de 1 à
51,50. De là l'encombrement qui est une des causes de
la crise qui sévit actuellement sur les houillères.
Le deuxième tableau représente, par département, la
production pendant l’année 1877 des combustibles miné-
raux : il consiste en une carte à plusieurs teintes, mon-
trant l'importance du Pas-de-Calais, au point de vue de
la production de la houille. Quarante-quatre départe-
ments, comprenant quarante-six bassins, produisent
16,804,529 tonnes. Sur ce nombre, huit départements
produisent moins de 1,000 tonnes ; sept de 1 à 10,000;
quatorze de 10 à 100,000; dix de 100,000 à 1,000,000;
cinq plus de 1,000,000. Le Pas-de-Calais extrait
3,435,041 tonnes, soit plus du cinquième de la production
générale.
Le troisième tableau montre la production totale et la
consommation de la houille par année dans le départe-
ment du Pas-de-Calais. L'auteur, dans une partie de
cette feuille, a figuré la production sous la forme de
— 909 —
carrés : nous y Voyons que la production totale des bas-
sins du Nord et du Pas-de-Calais .a été, en 1878, de
6,978,790 tonnes, sur lesquelles le.Pas-de-Calais seul en
a fourni 3,829,639, c’est-à-dire plus de da moitié. Une
courbe prouve aussi que de 1853 à 1859, :il y a eu excès
sensible de l'importation sur l’exportation, landis que
de 1859 à 1877, l'excès de l'exportation a augmenté
dans .des proportions inouies. L’auteur n'oublie rien,
puisqu'il reproduit sur ce tableau, comme sur tous les
autres, les formules algébriques, une entre-autres qui.est
très-pratique, c’est celle de la conversion des tonnes.en
hectolitres. + — 11,91.
Le quatrième est une carte à plusieurs teintes, indi-
quant. l'exportation de la houille du bassin de Valen-
ciennes dans les départementsde France. En 1872, trente-
trois départements consomment de la houille expédiée
par le bassin de Valenciennes; six consomment moins.de
1,000 tonnes ; neuf de:1 à 10,000 ; onze de 10 à 100,000;
cinq de 400,000 à 1,000,000 ; deux plus de 1,000,000 ;
au total: 5,801,850 tonnes, dont 1,082,100 dans le Pas-
de-Calais et 2,845,410 dans le département.du Nord. Sur
ces 1,874,340 tonnes exportées du bassin de Valenciennes
dans trente et. un .départements, 508,560 tonnes sont
vendues dans le département de la Seine; elles valent
95,428,000 fr. Ainsi, le bassin de Valenciennes, dit l’au-
teur, expédie sur:Paris pour plus de 25,000,000 de.fr. de
houille; d’où, au point de vue de nos intérêts, nécessité
absolue de créer un grand canal direct allant à Paris,
si .nous voulons conserver cet important débouché,
menacé par la concurrence anglaise depuis le projet
d’approfondissement de la Seine. L'Académie d'Arras,
14
— 210 —
qui vient de mettre au concours l'étude des différents
projets proposés pour relier les voies navigables du Pas-
de-Calais, soit à la mer, soit au centre de la France, ne
peut que s'associer à ce vœu.
Le cinquième tableau donne la production comparée
des concessions du Pas-de-Calais, de 1850 à 1876. Les
différentes Compagnies y figurent avec leurs dates de
concessions et leur étendue kilométrique; des courbes
font suivre le mouvement de l'exploitation, année par
année: chaque concession est marquée d’une couleur
différente. et c’est merveille de voir ces traits variés
s’entremèler sans que jamais aucune confusion en résulte
et que la facilité des recherches en soit retardée.
Le sixième et dernier tableau montre, au moyen de
surfaces proportionnelles, la production totale des conces-
sions depuis l’origine jusqu'à l’année 1876. Ces surfaces
sont des cercles (1} concentriques. Lens vient au premier
rang, représentant le cinquième de la production totale
et le chiffre de 7,147,632 lonnes ; puis au deuxième et
au troisième rang, Nœux et Courrières; ensuite au
quatrième, Bully; au cinquième el au sixième, Bruay et
Marles; enfin, dans l’ordre suivant: Dourges, Ferfay,
Carvin, Liévin, Meurchin, Vendin, Hardinghem, Fléchi-
nelle, Ostricourt et Auchy, Douvrin et Cauchy-à-la-Tour.
Deux autres courbes très-ingénieuses sont jointes à ce
tableau : celle de la production dans la concession de
Lens, combinée avec celle du développement de la popu-
Jation.
‘Le rédacteur du travail pense, dit-il, avoir fait une
(1) Echelle : le diamètre en millimètres — + nombre de tonnes,
— 9211 —
toute petite œuvre, nous pensons qu’il a fait une belle et
bonne œuvre, et nous nous joignons à lui pour demander
que ces tableaux, qui parlent si bien aux veux, soient
introduits dans l’enseignement professionnel, afin de
donner aux jeunes Artésiens une juste idée de la plus
importante industrie de leur pays.
En résumé, le travail envoyé au concours, se distingue
par un incontestable mérite, mais n’a traité qu’un des
côtés de la question. Aussi votre Commission, appelée à
se prononcer, a-t-elle jugé que, tout en adressant ses
félicitations à l’auteur. elle ne pouvait cependant vous
demander pour lui la plus haute récompense, et vous
at-elle proposé de lui décerner une médaille d’or de la
valeur de deux cents francs.
LES RÉALISTES
par
E. LECESNE
Membre résidant.
Un singe avait ouvert atelier de peintufe.
Les singes quelquefois
Peignent de leurs dix doigts :
Chardin les a montrés en pareille posture.
Notre singe, palette en main,
Brossait et barbouillait sans fin.
Avec son bonnet grec, bien campé sur l'oreille,
Et sa longue barbe au menton,
Il croyait, sans prétention,
Des artistes du temps devenir la merveille.
Mais hélas! le sort inhumain
Lui faisait un autre destin.
Au lieu de figurer au Temple de Mémoire,
Il obtenait pour tout succès,
De se produire, non sans gloire,
Dans le salon des refusés.
Quant aux produits de sa fabrique,
Hôtel Drouot, ils se vendaient
Quelques écus, qui s’égaraient,
— 213 —
Lorsque l’on. adjugeait de vieux fonds. de boutique.
Mais, pour sa consolation,
Il traitait carrément, en secouant sa nuque,
Le jury de sale perruque,
Et l'amateur de polisson.
Près du logis du singe un canard demeurait,
Il faisait métier de sa plume.
Dans les journaux il écrivait,
Et même de ses vers remplissait un volume.
Malgré ses pieds fourchus et sa voix de chaudron,
Il avait aussi la lubie
D’être une nature accomplie.
Ses confrères l’avaient surnommé le plongeon :
C'étaient méchants propos et dictés par la haine ;
Cependant, par manque de veine,
Ses livres, toujours au rabais,
Ne se vendaient qu'aux bords des quais,
Et dans les journaux, par espace,
Il ne trouvait qu’une humble place :
Enfin, il pataugeait, pataugeait, pataugeait.
Mais, pour faire un trio parfait,
Au même toit prit domicile
Un corbeau cherchant un asile.
C'était un musicien tout palpitant d’espoir,
Qui jouait, sur une épinette,
Ses thèmes du matin au soir.
Il pensait de sa serinette
Tirer les plus heureux accents ;
Mais, en attendant, son ramage,
Quoique faisant un grand tapage,
Ne lui avait ouvert que les cafés chantants.
Un jour, qu’en fumant leur cigare
À l’estaminet, les voisins
— 214 —
Se plaignaient du sort trop avare,
Et se racontaient leurs chagrins,
Il leur vint une idée aussi grande que belle.
Pourquoi ne pas poursuivre une route nouvelle ?
Assez longtemps l’esprit humain
À demeuré dans le pétrin.
Il nous faut le tirer de son triste esclavage,
Et le faire aborder sur un autre rivage.
Est-il besoin de tant d’apprêt,
Pour désigner le moindre objet ?
De maîtres décrépits en suivant les paroles,
Dans un tas de détours se perdent les écoles :
Nous allons changer tout cela,
Et Dieu sait ce qu’il en sera.
Point de ménagements dans nos expressions !
Nous retracerons sans figure, |
Ainsi qu’on la voit, la Nature:
Nous voulons appeler les choses par leurs noms!
C'est cela, dit le singe, à présent, dans mes toiles,
Je ferai tomber tous les voiles.
J'aurai des hommes aüx bons poings
Avec des femmes à tous crins.
J'entends fonder le réalisme
Et même l’impressionisme !
Et moi, dit le canard, je pourrai donc enfin
Démontrer, en vers comme en prose,
Que tout n’est pas couleur de rose,
Et que le beau c’est le vilain :
Je me plairai dans la canaille,
Dans les taudis, dans la ripaille,
Dans les propos de crocheteurs,
À son tour, le corbeau sent bouillir ses ardeurs :
Désormais à bas l’harmonie,
— 915 —
Dit-il, et plus de mélodie !
Cela n’est bon que pour les sots.
Mes notes ne seront que de bruyants échos.
Je lancerai, tout d’une haleine,
Des sons forgés à la douzaine :
Voilà, pour la bien définir,
La musique de lavenir !
Et chacun aussitôt d'entrer dans la carrière,
Annonçant, d’un ton résolu,
Que devant tous les yeux va jaillir la lumière,
Et que le nouveau monde est enfin apparu.
Mais que vit-on sortir de tant de häbleries ?
En peinture des singeries,
Dans les lettres des assommoirs,
En musique des endormoirs.
Il est vrai, qu'après tout, les trois malins compères
Firent d'assez bonnes affaires :
Avec le réalisme ils avaient inventé
Le négoce des arts, dans sa réalité.
R APPORT
UN PUIET HORS foncours
LA LÉGENDE DE L'ÉGLISE DE SAINT-MICHEL
par
M. RICOUART
Membre résidant.
RSS —————
MESSIEURS,
La Commission que vous avez désignée pour étudier la
pièce hors concours, intitulée: La Légende de l’église de
Saint-Michel, m'a chargé de vous rendre compte de son
examen et de vous présenter les observations auxquelles
ce travail a donné lieu.
La Légende de l'église de Saint-Michel est écrite en
patois de Saint-Pol et suivie d’un glossaire explicatif des
mots et des locutions usités dans le pays de Ternois. Elle
est en vers assez savamment imités des vieilles cadences
du moyen-âge, et celle recherche dans la forme nous
avertit, dès l'entrée en matière, que l’auteur, si modeste
qu’il puisse se faire dans sa lettre d'envoi, a pénétré par
l'étude, plus qu'il ne semble le dire, dans les secrets de
la langue d’autrefois.
Le sujet de la légende, déjà connu par les travaux de
= 917 —
M. Nicolas Lambert, qui fut un infätigable chercheur
parmi les premiers pionniérs de l’histoire locale, est fort
simple d'action, comme vous pourrez en juger par une
courte analyse.
Les habitants du village de Saint-Michel, ne possédant
qu’une église, ou plutôt une humble chapelle, cachée
dans les taillis de la forêt, où l’on ne pouvait arriver
qu'en gravissant une pente escarpée, forment le projet
de construire dans les terrains du Marais, avec l’aide et
l'argent dû châlelain de Saint-Martin, un asile pour la
statue miraculeuse de la Vierge vénérée dans là chapelle.
Les matériaux de l'édifice sont à peine déposés sur
l'emplacement choisi, qu’ils se trouvent transportés, en
. une seule nuit, autour de l’ancien sanctuaire, dans l’ordre
où l'architecte les avait rangés. Les ouvriers s’entêtent.
Les pierres et le mortiér sont rarnenés dans la vallée et le
maçon joue énergiquement de la truelle. Efforts inutiles!
La nuit suivante, tout s'envole derechef vers le sommet
de la colline. El, cette fois, les veilleurs chargés de faire
le guet voient, à n'en pas douter, saint Michel, armé de
son glaive, conduire toute une légion d’anges travail-
leurs. Les yeux s'ouvrent, et, avec leur aide, les intelli-
gences. Rien n’est plus évident ; la Vierge ne veut point
abandonner sa demeute chérie, et c’est là-haut qu'ik faut
lui bâtir un temple digne d’elle. Tel est le froid résumé
de célté pièce de vers, qui n’est pas dépourvue de verve
el d’entrain, ni d'un cerlain feu poétique que le patois,
par son peu de souplesse, empêche d'émetlre ses rayons.
Nous voudrions vous en faire apprécier l’ensemble en
vous en citant un passage. Il faudrait, pour cela, selon
le désir exprimé par l'auleur, vous le lire avec cet accent
— 218 —
qui lui communiquerait « comme une saveur locale, un
parfum de terroir, » sans lequel toute littérature patoise
perd une partie de sa valeur. Essayons néanmoins.
El jour s’foet bétot vèpe. Chincq homm’ bien resolùs
Point eunne buque epeutès et n’étint point peuriùs
Ward’nté chés fondations, déchidès à veiller
Et pis tout inlèv’'mint ed tous leus forch’ impècher.
Mais dins l'nuit,
A minuit,
Ein éclair, tout d’ein cop, comme eune fauchile ed fu,
Cope chés neuèes d’bistincuin et vient raser leus yus.
Ech” tônerre buque et claque ! Nous gins épavaudès
Et d’terreur tout glachés, voettent chés muralles soulvès
Monter in l’air et l’vallée travercher
Pour s’in aller s’placher
Tout à l’intour d’chell’ viell’ capelle
Dù qu'’in les avoet truvèes l’velle.
Als étoètent leumineusses; même chés gardiens crur’t vir
In tét’ d’eun’ bell’ troup’ d’anch’ saint Michel l’sé conduire,
Armè d’eune epè d’fu ! Et tout cho d’ein clin d’œulle,
Et pis cha s’o detâäint cor pu vit’ qu’el’ fureulle.
Mais tout en reconnaissant l'originalité de l’œuvre,
votre Commission a pensé que ce n'élail pas cette poésie,
si l’on veut bien lui accorder ce nom, qui devait attirer
vos regards ; un lravail bien autrement sérieux, à son
avis, c’est le glossaire explicatif qui la complète.
Vous avez mis au concours, depuis plusieurs années,
un glossaire du patois artésien, comprenant, autant que
possible, des étymologies et des concordances avec les
pays limitrophes et avec les langues étrangères. Vous
n'aviez pas été heureux jusqu'ici et vous n'aviez pas
même déterminé un effort de nos compatriotes compé-
| 219 —
tents. On pouvait craindre que cette question eùt le
même sort que l'explication des noms de lieux du dépar-
tement, grande tâche, du reste, dont l’étendue a fait
reculer les plus vaillants. Mais voici que votre appel a
suscité un travailleur sérieux, habile à manier les dialectes
de nos contrées. Les chartes et chroniques du moyen-âge
lui sont familières. Ces mots du vieil Artois qu’il entend
de la bouche des paysans et des bourgeois de Saint-Pol,
il les a lus dans Froissart, dans Monstrelet, dans les
poésies d’Adam de la Halle, le bossu d'Arras, et dans les
documents recueillis par les philologues les plus érudits.
Son travail répand ce parfum si cher au bibliophile, celte
odeur de poussière sacrée qui voltige dans le rayon de
soleil sous les sombres arceaux des bibliothèques. Il v
aurait bien à critiquer : mais faire la critique d’un glos-
saire! Vous n’attendez certainement pas, Messieurs, que
je vous le donne par le menu, ni que je vous fatigue des
observations de détail, qui accompagnent, en guise de
commentaires, le rapport de votre Commission. Mais
nous ne vous cachons pas quelle a été l'impression que
nous avons ressentie à la lecture. Disons, avant tout, que
nous n’avons eu à juger que d’un essai. L'œuvre est
enfermée dans des limites trop restreintes pour être con
sidérée par l’Académie comme autre chose qu'un pre-
mier pas vers des résultats plus complets. En outre,
l’auteur, sans aucun doute, a savamment étudié le patois
de Saint-Pol ; mais l’a-t-il parlé lui-même, comme sem-
blent le faire supposer les deux vers qu'il a pris pour
épigraphe ? A-t-il bien gravé dans sa mémoire ce langage
accentué, aigu, plus musical que le picard, plus précipité
que le rouchi? Ou bien, une longue absence l’a-l-elle
— 220 —
tenu éloigné dé l’Artois; ne laissant résonner: à son
oreille que les dialectes analogues, tous marqués d’un:
caractère différent. C'est, en effet, le vieux français: qui
lui fournit les éléments nécessaires pour expliquer
l’artésien-picard, tandis que c’est ce dialecte, déformé par
le temps, qui devrait servir à l’éclairer sur la signification:
et la prononciation de la langue des trouvères. Nous
avons devant nous; noû pas un paysan, mais un érudit.
Et pourtant, d’un autre côté, quand il nous décrit les
délicieuses soliludes des bois et les paysages pittoresques
de Saint-Michel, quand il énumère ces villages aimés du:
Saint-Polois, et « semés pour le plaisir des yeux » le
long de la charmante vallée de la Ternoisé, on se per-
. Suade qu’il a gardé pieusement dans son cœur l’meffa-
çable amour du pays natal; je m’assure qu'il redit avec
passion ce qu’autrefois Jadin, reconnaissant de l'hospita-
lité Saint-Poloise, écrivait, dans une spirituelle épitre
à M"° Mennessier-Nodier (dont vous connaissez tous,
Messieurs, les poétiques sonnets) : « Le jardin que vous
habitez est le plus joli coin du monde! » Quoi qu’il en
soit de là nationalité de l’auteur, il vient d’acquérir par
son travail le droit de cité dans la patrie de Loerius, ou
des titres certains à la sympathie des Saint-Polois et des
amis de la science philologique.
Ne cessons point, Messieurs, d'encourager par nos
appels pérsévérants et nos exemples de tous les instants,
ces étutés attrayantes el arides tout à la fois, qui jettent
un jouf plus brillant dans les obscurités de notre langue
et de notre histoire locale. Faisons centrer dans les con-
victiôns dés hommes de travail et de rechérches, cet
aphiorisme si vaillant dans £a paradoxale affirmation :
— 221 —
« Rien n'est fait quand il reste quelque chose à faire. »
Disons à l’auteur de l'essai que nous avons sous les yeux:
« La route vous'est ouverte vers des champs: plus vastes
et vierges encore du sillon. Vous venez de faire preuve
de savoir et de tenacité dans l’entreprise. Vous nous avez
laissé deviner la lampe de l'étude brûlant avec persévé-
rance dans le retrait propice à la méditation. Du fond de
ce sanctuaire du silence et de la pensée, envoyez-nous
encore quelques fruits de vos loisirs, complétez votre
glossaire, et que l’Académie d'Arras, heureuse d'activer
* votre zèle, marque par des récompenses les étapes
annuelles de votre marche en avant. »
Votre Commission, Messieurs, vous propose de décer-
ner une médaille de vermeil, à titre d'encouragement, à
l’auteur du travail hors concours, portant pour épi-
graphe : |
Et sous le frais ombrage
Dont Saint-Michel s’enveloppe orgueilleux,
Je crois encor courir comme au jeune âge.
LAURÉATS DES CONCOURS
HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE.
Grande médaille d’or :
M. Ad. de CARDEVACQUE, à Arras.
Pour son travail sur les Places d'Arras.
a
PCIENCES.
Médaille d’or :
M. Ducxaussoy, à Arras.
Pour son travail sur l'Industrie houillère du Pas-de-Calais.
MEMOIRE HORS (ONCOURS,
Médaille de vermeil :
M. E. Epmonp, à Saint-Pol.
Pour son travail sur le Patois.
BEAUx- ARTS.
Prix de Fondation d’un Membre de l’Académie :
Louis Noez (de St-Omer), statuaire à Paris.
SUJETS MIS AU CONCOURS
POUR 1880.
HISTOIRE, ARCHÉOLOGIE, TOPOGRAPHIE.
Faire l’histoire de la fabrication des Dentelles à Arras:
décrire les Dentelles d’Arras et les apprécier au point de
vue de l'art.
Histoire d’une Ville, d’une Localité importante ou d’une
Abbaye du département du Pas-de-Calais.
Histoire d’une Société ou d’une Institution locale ayan
rendu des services au pays.
a ne
ARRAS /Ciîté]. — Au temps de Louis XI la Cité se trouvait,
ainsi que le dit expressément Robert Gaguin, distante d’en-
viron cent pas de la Ville et sise sur un lieu plus élevé. Une
porte et un fragment de l’enceinte de cette époque existent
encore aujourd’hui. On constate de plus derrière les maisons
des rues Terrée-de-Cité, d'Amiens et de la Paix une surélé-
— 2924 —
vation de terrain prononcée, régulière, et qui paraît dénoter
un ouvrage de l’homme. Rechercher la nature de ce déni-
vellement, le décrire, le relever, dire s’il accuse les limites
de la Cité au temps de Louis XI, ou ces mêmes limites à
l’époque Gauloise ou Gallo-Romaine. Voir si une surélévation
analogue ne se reproduit pas derrière les maisons de la rue
du Vent-de-Bise, et indiquer si c’est à un système de défense
que doit se rattacher le monticule existant dans l’enclos de
l'ancien Hôtel-Dieu. |
ARRAS /Ville). — Il existe en terres-pleins un pan de
mur, et peut-être en substructions, des vestiges très-visibles
et encore considérables du Castrum dans les enclos de
Saint-Vaast, de l’ancien monastère des Récollets, de la
Prison et de l'hôtel du Châtelain, et de la Cour-le-Comte;
rechercher les vestiges, les relever, les décrire, déterminer
à leur aide les limites précises du Castrum et constater ce
qui reste aujourd’hui de cette forteresse romaine.
GE
LITTÉRATURE.
Une pièce de 200 vers, au moins, sur un sujet laissé ap
choix des concurrents. |
Eloge historique d’un personnage célèbre du département
du Pas-de-Calais, artiste, poète, littérateur, historien ou ju-
riste.
‘BEAUX-ARTS.
Histoire. de l’art.ou de. l’une de.ses branches dans l’Artois.
Biographies. d'artistes artésiens.
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